Si les institutions financières sont à l’aise avec l’aide financière accordée par le fédéral pour l’installation de robots et d’autres équipements sophistiqués sur les fermes laitières, les prêts demandés doivent être analysés avec prudence, plaide un chercheur de l’Université Laval, Jean-Philippe Perrier. Une baisse du prix du lait, une hausse des prix du foin , des grains et des taux d’intérêt d’un seul point pourrait mettre de nombreuses fermes dans le trouble.
Le professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’université Laval estime que 32% des exploitations laitières n’ont pas les revenus nécessaires pour affronter une éventuelle tempête financière.
« C’est problématique. Déjà les investissements coûtent cher et la valeur des actifs est très élevée. Quelque 50% de ces fermes produisent sous leur coût de production. S’il devait y avoir des baisses de revenus, plusieurs ne pourraient pas rembourser leurs emprunts bancaires », évalue-t-il.
Il reconnaît toutefois que le Québec affiche toujours du retard en termes d’équipements spécialisés dans les fermes, en comparaison aux autres provinces canadiennes et aux fermes américaines. Il donne en exemple que l’on compte trois fois plus de tracteurs à l’hectare au Québec que dans le reste du Canada, mais que le nombre de robots de traite est très en deçà d’ailleurs.
Gestion des risques
Il n’y a pas que les concessionnaires qui se réjouissent du programme d’investissements d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le Mouvement Desjardins et la Banque Nationale du Canada y voient de multiples avantages.
« On voit plus d’investissements depuis un an. Le secteur est conscient qu’il doit s’améliorer. On analyse les dossiers au cas par cas et on s’assure qu’il existe une bonne marge de manœuvre dans le plan d’affaires de la ferme pour passer au travers des situations. Mais le Mouvement Desjardins n’est pas inquiet », assure le porte-parole Richard Lacasse.
Pour garantir la capacité de l’entreprise d’assumer son nouvel emprunt, les institutions financières analysent l’historique de la ferme, regardent les garanties disponibles et mettent en perspective que le secteur accepte qu’il doit se transformer, d’autant plus qu’il est vieillissant et que la relève ne court pas nécessairement les rangs.
« Plus les négociations de l’ALENA vont s’intensifier, plus cela va fragiliser la confiance des gens près à vendre et qui n’ont pas de relève. Cela va accélérer la consolidation du secteur, mais on ne croit pas au scénario catastrophique. La demande pour les produits laitiers est en hausse. Mais une chose est fort probable, c’est que dans 20 ou 30 ans, il va y avoir des modifications à la gestion de l’offre. Nous sommes d’un optimisme prudent », ajoute Patrick Lemelin, vice-président agriculture et agroalimentaire à la Banque Nationale du Canada.
Conflits d’intérêts
Jean-Philippe Perrier considère que les institutions financières sont en conflit d’intérêts, dans ce processus de collaboration avec les programmes fédéraux.
« Elles ont intérêt à prêter aux agriculteurs. L’agriculture au Canada, c’est un investissement très sécuritaire pour elles, car elles jouissent de garanties sures grâce à la gestion de l’offre. On se retrouve donc avec des gens qui vendent du crédit et qui conseillent les agriculteurs en même temps. Ils travaillent pour leurs intérêts. Il faudrait que les agriculteurs se posent des questions. Avant d’avoir accès à des emprunts, peut-être que les producteurs agricoles ont d’abord besoin d’autres services », analyse-t-il.
Fermeture du programme
Rappelons que le Programme d’investissements sur les fermes laitières, composé d’une enveloppe de 250 M$ a été ouvert le 22 août dernier. Le 29 août, Agriculture et Agroalimentaire Canada annonçait que le programme s’était terminé à 15h, à la suite du nombre élevé de demandes reçues.
AAC promet que toutes les demandes acheminées durant cette période seront examinées selon le principe du premier arrivé, premier servi et qu’une liste d’attente sera créée pour combler les demandes si d’autres fonds sont disponibles.
Sur Facebook, le site Lait’quitable s’est enflammé, plusieurs producteurs laitiers mécontents n’ont vraiment pas apprécié être laissés si rapidement sur la touche.