Après les agronomes, est-ce que les vétérinaires pourraient aussi être considérés en conflit d’intérêt lorsqu’ils administrent des médicaments aux animaux ?
Le sujet se traite à huis clos. Il est difficile d’avoir accès aux données de ventes de médicaments, surtout des antibiotiques de classe 1,2, 3 et 4. Et d’assister aux séances d’information offertes aux agriculteurs.
C’est après plusieurs demandes répétées de La Vie agricole que CDMV, le distributeur canadien exclusif de produits vétérinaires en agriculture, a fourni à une liste de produits disponibles, administrés aux bovins, sans pour autant en dévoiler le volume de ventes.
Pourtant, à titre d’unique fournisseur de produits vétérinaires, comment l’organisation peut-elle ne pas posséder ces données ?
À cette question, la conseillère en communications de CDMV, Geneviève Ménard, a répondu : « nos systèmes ne nous donnent accès qu’à des données brutes; Ces dernières ne peuvent être analysées, puisqu’elles ne nous permettent pas de segmenter l’information par espèce animale. Vous fournir ces données vous induirait donc inéluctablement en erreur. De plus, nous avons des contraintes liées au fait que ces données sont confidentielles : CDMV n’est pas autorisée à transmettre d’informations relatives à ses fournisseurs. »
25% sur la vente de chaque médicament
Donc, chaque vétérinaire doit s’approvisionner directement au CDMV, le canal unique créé en 1972 par des vétérinaires québécois et qui appartient aux vétérinaires. Il a l’obligation de fournir un service-conseil adapté aux besoins de chaque ferme et la Loi l’autorise à vendre lui-même, à un prix majoré de 25% à son coût d’achat initial, les médicaments qu’il recommande.
Y a-t-il alors un risque de conflit d’intérêt, puisque la vente de médicaments devient une source de revenus qui s’ajoute au coût de la consultation chargée au producteur agricole ?
À cette question, le Dr Michel Savard réplique que non, puisque que contrairement aux agronomes, l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ) et l’AMVQ (Association des médecins vétérinaires praticiens du Québec), leur syndicat, sont deux entités différentes.
Il ajoute : « on sait où la société évolue. Depuis plusieurs années, les mesures sont plus strictes pour les porcs et les volailles. Les vétérinaires voient les classes d’antibiotiques utilisées et les éleveurs de bovins laitiers doivent s’améliorer. Chaque vétérinaire doit tenir un inventaire des produits périmés. S’il y a un abus, l’Ordre peut intervenir », affirme-t-il.
Depuis 1985, le Québec est la seule province canadienne à obliger l’administration d’un médicament par une ordonnance d’un vétérinaire. Mais, à compter du 1er décembre 2018, tous les vétérinaires canadiens devront le faire, à la suite d’un changement apporté au Règlement fédéral sur les aliments et drogues.
Ce règlement oblige dès cette année l’industrie pharmaceutique à rapporter les ventes, avec estimés par espèce. « La première année de collecte des données est 2018, ce qui signifie que les premières données disponibles le seront au cours de 2019 », précise le CVMQ.
Le MAPAQ surveille, mais tolère
Pour sa part, le MAPAQ affirme ne pas connaître non plus les quantités d’antibiotiques administrés aux animaux par les vétérinaires.
Mais, selon son service des communications, le ministre juge important de mettre en place sur une base annuelle une série de « programmes de surveillance des résidus d'antibiotiques » dans notamment les filières viandes et volailles, purées de viandes pour nourrissons et le lait 2 %, de même que chez toutes les espèces animales livrées aux abattoirs pour s’assurer de l'innocuité du lait et de la viande produite au Québec.
Mais, il précise: « les quantités résiduelles retrouvées dans les aliments analysés sont bien en deçà de la quantité qui pourrait soulever des préoccupations pour la santé. »
Une question de santé publique
Même si des centres de recherche et institutions internationales, comme l’Organisation mondiale de la santé, relient dans plusieurs déclarations officielles la résistance croissante des humains aux antibiotiques à la présence d’antibiotiques dans des aliments, le Dr Michel Savard nie que les résidus d’antibiotiques trouvés dans la viande animale, voire le lait, puissent être une cause.
« Nous ne sommes pas d’accord avec cette hypothèse. Il n’y a rien de prouvé ni de scientifiquement démontré », a-t-il vivement répliqué.
Moins d’antibiotiques permis à venir
En prévision d’un changement quant à la pratique d’un usage préventif d’antibiotiques en production laitière, l’AMVPQ fait une tournée des régions, en collaboration avec l’UPA, pour informer les producteurs laitiers qu’ils doivent changer leurs pratiques. La Vie agricole voulait assister à l’une d’entre elles, organisée par la Fédération Outaouais-Laurentides, mais en a été exclue.
Rappelons que le 30 août 2017, le MAPAQ a publié pour commentaires, dans la Gazette officielle de Québec, un projet de règlement modifiant le Règlement sur l’administration de certains médicaments, découlant de la Loi P-42 sur la protection sanitaire des animaux. Le ministère mentionne que « ce projet a pour objet de prohiber, à l’égard de certaines catégories d’animaux, l’administration à des fins préventives de médicaments appartenant à l’une des classes d’antimicrobiens de « Catégorie I : très haute importance » en médecine humaine. Ce projet a également pour objet de contrôler l’administration de ces médicaments à des fins curatives. »
La période de consultation publique s’est terminée le 13 octobre 2017 et le ministère procède à l’analyse des commentaires reçus.