Être un agriculteur signifie savoir s’adapter, savoir rebondir à chaque coup dur, mais aussi se sentir en paix avec la nature quand elle est généreuse. Quand le contexte devient instable, suite à une baisse du prix du lait et une diminution du quota à produire, beaucoup de remises en question surviennent. Est-ce que privilégier l’argent qui rentre sera suffisant ou devra-t-on aller jusqu’à mieux s’organiser pour augmenter la rentabilité?
Dans le premier cas, le réflexe est de se conformer aux solutions dites traditionnelles. Comment mieux formuler la ration des vaches, puis-je utiliser un supplément moins dispendieux, trouver l’additif qui augmentera les composantes du lait? Tout cela peut fonctionner et représente possiblement une étape nécessaire dans ce contexte. Mais est-ce qu’on limite ainsi volontairement notre champ d’action en passant à côté de solutions durables?
Dans le deuxième cas, pour travailler réellement sur la rentabilité de l’entreprise, ça demande un questionnement qui risque d’être beaucoup plus exigeant, voire dérangeant. Ça demande une vision beaucoup plus globale, mais surtout qui intègre les différents ateliers plutôt que de les considérer indépendamment. Est-ce que l’état de mes vaches est adéquat pour répondre à des critères de rentabilité? Est-ce qu’à ce jour, le troupeau paie pour un manque de performance des champs? Est-ce qu’une culture spécialisée à forte valeur ajoutée masque la faiblesse de mes autres cultures? Est-ce que le choix d’espèces, la régie de culture et de récolte permet de fournir des fourrages de qualité, bien équilibrés et adaptés au type de ration souhaitée? Est-ce que ma rotation de culture est optimale et préserve la santé de mes sols?
Et à cet instant, parfois, on réalise que ça prendra un vrai coup de barre, un vrai changement dans la façon de faire. Que la réussite de notre projet sera évaluée selon des critères bien différents que par les temps passés.
Le changement fait peur. On a l’impression qu’il faut faire un grand saut dans le vide, entre ce que nous « perdrons » et ce que nous « gagnerons ».
Certains pourraient se dire qu’ils veulent attendre d’être prêts pour engager ce projet de changement. Les psychologues diraient qu’attendre c’est faire le choix de garder son désir insatisfait et de se complaire à l’entretenir…
Les agriculteurs sont probablement les personnes qui ont le moins peur de l’échec dans notre société. Le travail avec le vivant et la nature leur a appris que le monde n’est pas noir ou blanc. La vie est davantage faite de demi-échecs, toujours riches en leçons, et de demi-réussites. Chaque saison, il faut s’y adapter et ce n’est pas prêt de s’arrêter!