NDLR : Puisque le sujet du lait fait débat et qu’il se dit beaucoup de choses et son contraire, La Vie agricole a demandé à ll'un de ses collaborateurs, Jean-Marie Séronie, agro-économiste indépendant de se rendre sur place pour comprendre les enjeux liés au monde du lait en Nouvelle-Zélande. Bonne lecture !
Ces dernières années la Nouvelle-Zélande a représenté la moitié de l’augmentation de la production laitière mondiale et un tiers du commerce international de produits laitiers. Elle exporte en effet 95% d’une production qui a été multipliée par trois en trente ans.
A la tête d’une ferme laitière de 960 vaches, Ted Rollinson est assez représentatif de ces pionniers qui ont construit la ruée vers l’or blanc néo-zélandaise. Il a racheté, dans l’île du Sud (Le pays est constitué de deux îles), une ferme de production de viande il y a trente ans et l'a convertie en ferme laitière. Elle couvre aujourd’hui 380 hectares soit le double de la moyenne nationale. La ferme est entièrement irriguée grâce aux pivots qui ont remplacé l’ancien système gravitaire. Ted doit avoir plus de 70 ans, mais il est toujours le propriétaire actif de cette exploitation dont il a confié la gestion quotidienne à un « share-milker». Il partage avec lui les moyens de production et les résultats selon un système de faire-valoir original inventé par les Néo-Zélandais.
Irrigation massive pour augmenter la productivité des prairies
Comme Ted de nombreux agriculteurs ont massivement investi dans la production laitière et permis cette rapide progression. Elle s’est faite par augmentation du cheptel laitier grâce à la transformation de fermes antérieurement consacrées à l’élevage ovin ou bovin viande sur un modèle que l’on peut qualifier de « low cost, low price ». En trente ans le nombre de vaches allaitantes a ainsi baissé d’un tiers et celui des brebis de presque les deux tiers. Les acteurs de cette transformation ont souvent été des éleveurs laitiers du Nord, berceau historique de l’élevage laitier. En parallèle une irrigation massive a permis d’augmenter la productivité des prairies dans l’ile du Sud.
L’exploitation laitière néo-zélandaise a 400 vaches en moyenne
L’exploitation laitière néo-zélandaise a 400 vaches en moyenne. Les laitières sont principalement des Kiwi Cross, soit des animaux croisés frisonnes-jersiaises, de petits formats (400 à 450 Kg) produisant 4000-4500 litres d’un lait très riche en MSU. (50 de TB et 39 de TP en moyenne nationale). L’exploitation classique est spécialisée et organisée autour d’une « milking plateform » faite de paddocks sur lesquels l’éleveur gère en virtuose la valorisation d’une herbe pouvant dépasser 18 tonnes de matière sèche par Ha. Plus de 80% de la ration est en effet constituée d’herbe pâturée. Les vaches sont dehors 365 jours par an et parcourent plusieurs kilomètres chaque jour pour aller au pâturage. Au centre du parcellaire, l’éleveur a installé une salle de traite généralement rotative et, organisé en étoile autour de ce point central, un réseau de chemins larges et stabilisés donnant accès aux paddocks. Ce sont souvent les seuls investissements de l’exploitation. Le dessin des parcelles a été savamment étudié et les chemins sont régulièrement empierrés pour permettre une circulation par tous les temps.
La gestion du pâturage tournant est méticuleusement pilotée à la journée, voir à chaque traite avec mesure hebdomadaire de la pousse d’herbe dont les données sont reprises dans un logiciel de gestion fourragère. Les génisses nécessaires au renouvellement et à la croissance ainsi que les vaches taries sont généralement élevées sur d’autres fermes. Cela permet à la fois d’optimiser les parcelles pâturées par les vaches autour du bloc traite et de ne pas se disperser dans le travail.
Le pâturage, un véritable or vert !
Le pâturage représente ainsi pour les éleveurs néo-Zélandais un véritable or vert. Grâce à l’herbe, ils obtiennent des coûts de production très bas. Les coûts de revient (travail compris à raison d’un travailleur pour 150 vaches) sont aux environs de 3,5 [1]$/KG MSU auxquels il faut rajouter 1,5 $ de frais financiers et taxes, soit un point d’équilibre à 5 $/KG MSU. Le prix du lait s’étant situé pendant une décennie entre 6 et 8 $/Kg, la marge de trésorerie d’exploitation nette dégagée annuellement a donc été de 1200 à 2000 dollars NZ par Ha. On comprend alors facilement la ruée vers l’or blanc. Le prix du lait de la dernière campagne à 4,5 $ a en revanche généré un trou de trésorerie souvent compensé par de la dette.
Le succès néo-zélandais
L’exceptionnel succès de la filière lait néo-zélandaise repose en fait sur un triptyque : des éleveurs entrepreneurs et pragmatiques, un savoir-faire herbager, mais aussi un leader, la coopérative Fonterra. L’efficience de ce véritable moteur de la filière repose sur sa taille et la relative simplicité de sa gamme. La coopérative collecte actuellement 85% du lait néo-Zélandais transformé dans une de ses 33 usines. Les fabrications sont en fait des commodités, principalement de la poudre grasse, la moins chère et la plus simple à fabriquer, ce qui permet une optimisation des processus.
Et pour l’avenir ?
Dans ces conditions la ruée vers l’or blanc pas cher va-t-elle donc se poursuivre au même rythme ? On peut légitimement en douter. L’augmentation de la production ces trente dernières années s’est principalement faite par augmentation du nombre de vaches et des surfaces consacrées à la production laitière. Ce modèle touche aujourd’hui ses limites en disponibilité de surfaces à convertir en production laitière. Il bute aussi sur la conscience sociétale en matière de protection de l’environnement et de la ressource en eau.
Pour Andrew Hoggar « la production laitière néo-zélandaise va se stabiliser, car il ne reste plus de terres plates disponibles et l’augmentation restante sera liée à des gains d’efficience (vaches, pâturage, gestion). Il est le vice-président de « Federated Farmers », le Premier syndicat national des agriculteurs néo-Zélandais. Il pense que « les éleveurs doivent communiquer fortement sur leurs actions pour gagner la confiance de leurs concitoyens ». Pour lui « Il faut vendre l’histoire de la ferme Nouvelle-Zélande et s’assurer que chaque ferme est conforme à la qualité requise. »
La progression de la production laitière sera donc plus modeste à l’avenir, mais surtout réalisée avec des coûts de production plus élevés. Il faudra complémenter la ration pour augmenter la productivité des vaches. Des investissements comme des bâtiments seront nécessaires pour augmenter l’efficience environnementale. On imagine aussi, paradoxalement, une augmentation des surfaces en maïs, pour protéger le milieu ! En effet en augmentant l’apport énergétique dans la ration, on permet une meilleure valorisation des matières protidiques de l’herbe et donc une diminution des pertes azotées.
Les éleveurs conservent d’importantes marges de progression de leur production
Tout cela permet d’imaginer une augmentation significative des coûts de production et donc une révision du modèle néo-Zélandais. La coopérative Fonterra annonce d’ailleurs rechercher davantage de valeur dans ses produits pour augmenter le prix du lait payé à la production.
Les éleveurs conservent cependant d’importantes marges de progression de leur production. Ils pourront intensifier la production par vache laitière, notamment en gérant au niveau de chaque animal et non plus globalement ou par troupeau.
Le contexte économique à venir sera donc sans doute plus tendu pour les exploitations laitières. La fierté qu’on ressent chez la plupart des éleveurs, leur confiance dans l’avenir, leur lien fort avec la coopérative, leur pragmatisme sont des atouts majeurs pour poursuivre la ruée vers l’or blanc même à un rythme moins rapide. Ils permettront sans doute à la filière laitière néo-zélandaise d’engager sereinement, mais très activement les évolutions stratégiques nécessaires sur la montée en gamme des produits ou la protection de l’environnement.
[1] Un dollar canadien vaut 10 % de plus qu’un dollar néo-Zélandais