Cette Commission sur les pesticides est visiblement un accident, provoqué par l'incident Louis Robert. Et elle fait peur à bien du monde : à l'Union des producteurs agricoles (qui les utilisent), aux agronomes (qui les prescrivent), à la Coop fédérée (qui les vend), à Bayer-Monsanto-Syngenta et autres (qui les produisent), au Gouvernement (qui les autorise), aux professeurs, chercheurs et techniciens (qui les conseillent). De gros intérêts sont en jeu pour tous ces intervenants dont l'indépendance est plus que douteuse dans ce débat, comme vient de le rappeler Louis Robert.
Tout ce beau monde se serait bien passé de cette Commission, car tout ce monde-là sait très bien que le modèle dominant de production actuel, la monoculture céréalière intensive largement destinée en bout de ligne à l'exportation, ne peut fonctionner sans pesticides et engrais chimiques. On est donc prêt à tout pour éviter que la Commission ne pose clairement le problème de l'élimination, même graduelle, de l'utilisation des pesticides, et de la soutenabilité du modèle productiviste actuel. Ce que ces intervenants cherchent visiblement à faire, c'est d'enfermer le débat dans ce qu'on appelle la lutte intégrée, c'est-à-dire des façons de diminuer ou mitiger l'usage des pesticides et non pas de les éliminer, avec compensations et sans interdiction ni coercition. D'ailleurs, le mandat de la Commission a pris bien soin de préciser qu'il fallait garder en tête la protection de la compétitivité du secteur agroalimentaire.
Ce grenouillage des intérêts corporatifs autour de la Commission se sent déjà dans le choix des 30 intervenants qui seront entendu publiquement à la Commission. La liste des 80 mémoires qui ont été présentés, et de leurs auteurs, n'a toujours pas été rendue publique. Il est donc difficile de juger des critères de sélection qui ont été retenus. On sait toutefois que les compagnies productrices de pesticides d'une part, et les groupes reconnus pour leur critique radicale du productivisme agroalimentaire, comme l'Union paysanne et ceux qui partagent sa critique de l'agriculture industrielle, ne sont pas du nombre : « Leurs mémoires sont clairs et nous en tiendrons compte, a commenté le président de la Commission, le député caquiste Mathieu Lemay, mais nous n'avons pas jugé nécessaire de les questionner en audience publique », devant la caméra de LVATV/La Vie agricole. C'est une façon élégante de les éliminer du débat public.
L'éléphant dans la pièce, auquel personne ne veut faire face, c'est que les pesticides sont des poisons et non des médicaments, et qu'il est impératif de revenir à des pratiques agricoles qui respectent les mécanismes naturels de la vie, de la santé et de la regénération des sols, des plantes, des animaux et des humains. Tout le monde est d'accord qu'il faut prévoir une transition du modèle agricole sur quelques années, permettant une élimination d'abord des pesticides les plus dommageables et les moins nécessaires jusqu'à leur élimination complète sauf en cas d'infestation grave.
Le pire dans tout cela, c'est que la preuve est faite que c'est possible de le faire, comme les producteurs biologiques en font chaque jour la démonstration, à petite comme à grande échelle. Le problème n'est pas scientifique : il est technique, économique et politique. Le modèle productiviste n'est pas soutenable ni viable à long terme. Ses coûts sociaux et environnementaux sont énormes, et déjà ses rendements baissent malgré l'augmentation des applications d'engrais chimiques, de pesticides et des modifications génétiques. La détérioration des sols, de l'eau, des écosystèmes, de la biodiversité conduit ce modèle à un goulot d'étranglement. Il est inutile de chercher à se voiler les yeux.
La Commission n'est qu'une première étape dans cette remise en question, et elle a surtout l'avantage d'avoir invité le grand public dans le débat. Mais le mérite principal en revient à Louis Robert.