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L’agriculture québécoise s’auto-cannibalise bêtement…

Le premier ministre Legault a créé un certain émoi en plaidant le mois dernier pour une exclusion de la zone agricole à Saint-Hyacinthe. Même pour relocaliser une usine de transformation de poulet de la coopérative agricole Exceldor, cette intervention est malvenue. Dans le contexte des objectifs poursuivis par le gouvernement avec le projet de loi 66 déposé  cette semaine, cela pourrait entraîner une cascade de décrets pour divers types de projets, notamment pour le réseau routier, en lieu et place des décisions de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ).

Cependant, le milieu agricole est également à blâmer dans le dossier Exceldor. Les parties prenantes sont en effet toutes reliées à l’Union des producteurs agricoles (UPA). Comment expliquer la vigueur de ce pugilat?

Pour mieux comprendre les différences de perception face au territoire et les intérêts parfois divergents au sein de l’UPA, il faut savoir qu’elle réunit deux types d’affiliés.

Les fédérations régionales s’intéressent, sur une base territoriale, aux questions d’intérêt général et sont sur la ligne de front quant aux enjeux de zonage agricole, d’environnement, de développement régional… Tous les producteurs et productrices agricoles sont membres d’un syndicat local, affilié à une fédération régionale.

Les fédérations et groupes spécialisés sont composés de syndicats régionaux affiliés correspondent à diverses productions (lait, sirop d’érable…) ou à des intérêts spécifiques (relève agricole…). Ces fédérations et groupes travaillent au développement de la production en fonction de leurs préoccupations, principalement économiques. Leur sensibilité aux enjeux du territoire est variable. Les plus importantes productions agricoles du Québec sont le lait, la volaille, le porc et les grains.

La coopérative de transformation Exceldor appartient à des éleveurs de volailles québécois. En plus de la coopérative, ces personnes sont aussi membres d’un syndicat local et d’un syndicat régional spécialisé de l’UPA. La logique d’affaires d’Exceldor est similaire à celle des autres entreprises privées du secteur agroalimentaire, où la concurrence est vive.

La demande à la CPTAQ est portée par la MRC des Maskoutains, pour la Ville de Saint-Hyacinthe. Son maire, Claude Corbeil, tient mordicus à accueillir cette usine. Ex-président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec (2003-2007), il a eu un parcours d’élite dans la production porcine au Canada.

L’opposition à la demande d’exclusion vient de la Fédération régionale de la Montérégie. Le projet d’usine est souhaité mais pas le site ciblé. S’appuyant sur les critères de la Loi, la Fédération estime que cela créerait une brèche dans des terres de grande qualité, rejoignant ainsi l’analyse de la CPTAQ. Celle-ci considère que des sites alternatifs existent, et pas seulement dans la MRC des Maskoutains. Elle craint des pressions continues qui provoqueraient un effet domino grugeant les meilleures terres du Québec.

Nul besoin de pointer ici la menace des spéculateurs, des « développeurs » et des municipalités avides de taxes foncières. Des agriculteurs et agricultrices bénéficiaires du zonage agricole veulent scier la branche d’arbre où ils sont assis.

À quoi bon une loi pour protéger le territoire agricole si on n’arrive pas à préserver les « bijoux de la couronne », les riches terres de la plaine de Montréal? Cédant à une vision étroite et à court terme, des « gens de la terre » semblent oublier le rôle stratégique du territoire agricole pour la pérennité de leur secteur économique et la sécurité alimentaire de notre collectivité.

Il faut dire que les élevages sans sol (en confinement) prédominent dans les productions avicole et porcine, contribuant à diluer la connexion au territoire. De plus, une grande partie des installations de transformation agroalimentaire est concentrée autour de Montréal. Les usines, surtout les abattoirs, sont souvent très éloignées de la production en région. Les aliments voyagent beaucoup entre la ferme et l’assiette. Pas étonnant qu’une partie de la population agricole perde de vue que la terre est la ressource de base de la production.

Cet aperçu plutôt « déterritorialisé » du système agroalimentaire québécois est bien loin de l’idée de production de proximité qui chemine actuellement dans notre société.

L’actuelle pandémie et la crise environnementale planétaire, amplifiée par les changements climatiques, placent l’humanité devant un monde à préserver, voire à reconstruire, comme en 1945, selon le discours du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, lors de la récente célébration des 75 ans de l’organisation. La conscience de ces enjeux devrait servir de catalyseur pour une sérieuse réflexion en vue de refaire le consensus sur l’importance du territoire agricole. Il est inquiétant que des acteurs agricoles envisagent de bêtement « cannibaliser » la zone agricole.

 

Claire Binet, géographe, ex-employée CPTAQ, MAPAQ, UPA

Marie Bouillé, députée d’Iberville (2008-2014), ex-présidente de la Commission de l’Agriculture, des Pêcheries, de l’Énergie et des Ressources naturelles de l’Assemblée nationale 

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