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OPINION: «Les agriculteurs font-ils pitié?» – Roméo Bouchard

Le chercheur-vedette en agro-alimentaire, Sylvain Charlebois, vient de lancer un pavé dans la cour de l’UPA et des agriculteurs. Il prétend que, selon Statistiques Canada, les revenus moyens des entreprises agricoles (10%, 18% au Québec) dépassent de beaucoup les revenus moyens des entreprises de transformation et de distribution alimentaires (2%), et donc, que les agriculteurs se plaignent la bouche pleine et ne comprennent pas les rouages économiques de la chaine qui va de l’agriculteur au consommateur. Il accuse les agriculteurs d’aimer faire pitié et de jalouser les autres acteurs de la chaîne alimentaire.

Le directeur général de l’UPA, Charles-Félix Ross n’a pas tardé à monter au monticule pour le contredire. Les chiffres parlent,  dit-il, mais à condition que ce soit les bons chiffres. Et les chiffres que lui invoque sont ceux du rendement des entreprises sur les capitaux investis. À ce chapitre, le tableau est bien différent de celui dressé par Sylvain Charlebois.  Ce rendement varie entre 9% et 28% dans les grandes chaînes de supermarché (Costco, Walmart, Metro, Empire, Loblaws), alors qu’il est de 1.3% dans les entreprises agricoles.

Les deux séries statistiques sont sans doute vraies, mais elles mettent en évidence qu’il n’est pas juste de comparer les rendements de mégaentreprises d’alimentation avec ceux des entreprises agricoles individuelles ou corporatives.

Dans le premier cas, il s’agit de méga-entreprises dont les profits sont destinés à des actionnaires qui spéculent avec leurs capitaux, et qui d’ailleurs, depuis une décennie, empochent plutôt que de redistribuer les profits en investissements et en amélioration des services et des salaires.

Dans le cas d’un agriculteur ou de fermes gérées par un groupe d’agriculteurs, il s’agit d’investissements supportés par quelques individus dont la production agricole est le gagne-pain. Les agriculteurs ne cessent de s’endetter, on le sait. L’agriculteur vit de sa ferme et doit pouvoir en vivre décemment. Et quels que soient les chiffres lancés par Charlebois ou l’UPA, on sait fort bien qu’il n’y a pas de comparaison entre le salaire que peut se payer même un gros agriculteur et le salaire des dirigeants de Walmart, et entre le train de vie que peuvent se permettre leurs actionnaires. Les agriculteurs ne spéculent pas avec leurs capitaux : ils travaillent jour et nuit pour payer leurs prêts et nourrir leurs familles.

Il ressort de tout cela que la part qui doit revenir à l’agriculteur doit lui permettre de vivre décemment, et donc, doit être forcément plus importante en pourcentage que celle des actionnaires des méga-entreprises de transformation et de distribution. Un agriculteur, même un gros, n’a rien de commun avec un actionnaire de Walmart. C’est une question d’équité sociale et de juste répartition de la richesse.

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