Les microorganismes haussent le ton !

Opinion du collectif Voix citoyenne*

La COP15 sur la biodiversité s’est terminée sur un accord. Protéger 30% du territoire, fort bien.

Toutefois, le territoire est très convoité dans le sud du Québec et la vallée du Saint-Laurent (urbanisation, etc.), où vit près des trois quarts de la population québécoise.

Quelles sont les perspectives concrètes pour les terres agricoles ? Les sols sont de magnifiques usines vivantes, composées de milliards de microorganismes favorisant la vitalité de la biodiversité et la production d’aliments.

Pourtant protégée par une loi depuis 1978, la zone agricole est en recul continu ainsi que, forcément, la biodiversité dont elle est l’assise. Une révision de cette zone entre 1987 et 1992 l’a amputée de plus de 200 000 hectares au Québec, dont le quart autour de Montréal.

L’équivalent de la superficie de l’île ! La Commission de protection du territoire agricole avait alors proclamé la permanence de la zone agricole. Mais, les demandes ont continué d’y affluer; souvent autorisées

Nouvelle tendance: par un accord de compensation avec le gouvernement, on peut empiéter sur la zone agricole (exemples : Google, station du REM, hôpital de Vaudreuil).  Il y a néanmoins perte nette d’excellentes terres, une ressource rare et non renouvelable. De même, le règlement québécois de 2018 prévoyant des compensations financières pour dommages à des milieux humides et hydriques cautionne la perte d’espaces porteurs de biodiversité.

Compenser donne bonne conscience mais il n’est pas éthique de payer pour détruire le vivant.

Le 29 novembre dernier, l’Union des producteurs agricoles en congrès dénonçait avec vigueur l’intense spéculation foncière et les incessantes pressions sur les terres agricoles. S’adressant le lendemain aux délégués, l’agronome-journaliste Nicolas Mesly en rajoutait, citant son récent livre « Terres d’asphalte », une suite à son percutant documentaire, « Québec, terre d’asphalte », diffusé à Radio-Canada.

Si la délimitation d’un parc national ou d’une réserve faunique est permanente, pourquoi n’est-ce pas le cas pour la zone agricole ? Sommes-nous condamnés à d’interminables batailles défensives locales[1]?

La « Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire » publiée en juin dernier par le gouvernement caquiste annonce des changements prometteurs. Mais elle fait carrément abstraction de la fiscalité municipale. La taxation foncière, source de revenus prédominante des municipalités, est un « poison » triplement nocif pour le territoire agricole :

  • Primo, il attise l’appétit des municipalités envers la zone agricole; les usages non agricoles rapportent généralement gros en taxes municipales.
  • Secundo, la spéculation fait monter la valeur des terres, dépassant souvent le quintuple du prix moyen du marché agricole.
  • Tertio, le gouvernement rembourse entre 70% et 85% de la taxe foncière aux agriculteurs et aux propriétaires de terres zonées agricoles si cultivées. Malgré une valeur foncière admissible plafonnée, ce programme ponctionne le quart du budget du MAPAQ. Des spéculateurs patients louant des terres à des agriculteurs sont ainsi partiellement compensés, en espérant gagner un jour à la « loto du dézonage ».

Malgré les engagements formels des gouvernements, la volonté de protection du territoire est susceptible de fléchir à tout moment pour des exceptions ou des accommodements en faveur de projets majeurs d’infrastructure ou de développement économique. C’est du connu et d’autres situations pointent à l’horizon.

Pensons au troisième lien dans la région de Québec, avec l’impact appréhendé d’un étalement urbain sur la zone agricole qui échappe à la conscience du gouvernement québécois.  Mentionnons également l’économie verte préconisée par les deux gouvernements. Elle s’appuie beaucoup sur l’électricité, ce qui implique la production de batteries contenant des métaux dont certains se trouvent en bonne partie dans le sud du Québec, où nos meilleures terres agricoles sont localisées.

L’urgence planétaire exige un virage.

Il faut mettre un frein aux rêves des spéculateurs et fermer définitivement le périmètre de la zone agricole !  Il faut aussi remédier à la sous-utilisation et à l’enfrichement des terres, tout en  facilitant l’accès à la terre pour la relève.

De nouveaux maires, tel Mathieu Maisonneuve de Saint-Lin-Laurentides, ont pris conscience de l’importance de préserver les terres agricoles. Mais ce « bon virus » sera-t-il contagieux?

Réclamée de toute part, une sérieuse réforme de la fiscalité municipale s’impose. Au lieu d’antagoniser les élus locaux et la société civile autour de l’occupation du territoire, le cadre fiscal devrait plutôt favoriser la recherche de consensus.

Par ailleurs, il faut remplacer l’inadéquat programme de remboursement de taxes foncières par des mesures innovantes au soutien du Plan d’agriculture durable du MAPAQ pour stimuler davantage l’implantation de pratiques favorisant la santé des sols et des humains.

Les terres agricoles sont essentielles à notre autonomie alimentaire et au maintien de la biodiversité. Elles doivent aussi nourrir les générations futures. De plus, nous avons un devoir collectif envers une partie de la population planétaire bientôt affamée en raison des changements climatiques.

Cette ressource est un trésor national et universel.

*Voix citoyenne, Québec (Claire Binet, Claudine Dorval, Monique Gagnon, Pierrette Paiement)

[1] Voix citoyenne a canalisé depuis 2015 la mobilisation pour sauvegarder les terres agricoles à Québec, dont celles des Sœurs de la Charité (200 hectares), que le MAPAQ vient d’acheter pour implanter un agro-parc d’innovation. Les citoyens et la société civile tiennent à y développer une vocation de proximité.

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