Les politiques d’aménagement du territoire du Québec: un problème épineux ?

Margaret Zafiriou ( CAPI-ICPA) – Les pressions croissantes liées à la population, à l’étalement urbain, à la pénurie de logements, aux investissements industriels et aux préoccupations environnementales ont forcé les gouvernements provinciaux à prendre des décisions de plus en plus controversées concernant l’utilisation des terres agricoles. Les politiques existantes semblent incapables de gérer ces pressions. C’est pourquoi des modifications législatives sont actuellement en cours, y inclut au Québec. Les terres agricoles constituent un atout vital et stratégique et doivent être protégées et gérées comme telles. Mais les politiques pour les protéger continuent d’être un problème épineux.

En Ontario, le Premier ministre Doug Ford a récemment changé de cap et son ministre des Affaires municipales et de l’habitation a démissionné après un rapport cinglant du Vérificateur général (VG) et du Commissaire à l’Intégrité de l’Ontario.  Ils ont conclu que le gouvernement n’avait pas entrepris un processus crédible et minutieux avant de supprimer les protections des terres protégées dans la ceinture verte. Le VG a particulièrement critiqué le manque de transparence qui semble profiter aux spéculateurs et sentir l’ingérence politique et la corruption. Cela a conduit à une perte de confiance du public et à une opposition des groupes d’intérêt les uns contre les autres. C’est évidemment un problème épineux !

D’autre part, le Québec est en train de consulter sur les changements des politiques d’aménagement des terres agricoles. Bien avant que ces consultations aient été annoncées, la province avait un processus plus transparent par lequel les terres zonées agricoles puissent être redésignées pour les usages différents. En effet, il est l’envie des autres provinces et d’autres pays.  Introduit en 1978 par l’ancien ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et l’Alimentation, M. Jean Garon, La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles protège plus de 63 000 km2 de terres agricoles, principalement dans le sud du Québec où le sol et le climat permettent la meilleure production alimentaire.

La loi a établi la Commission sur la protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), comme commission indépendante, ayant pour mission d’assurer qu’il y aura des terres agricoles disponibles pour les générations à venir.[1] La commission fait des décisions sur les changements de l’utilisation des terres dans un processus transparent, y inclus sur l’investissement étranger, ou le public peut voir les plus que 87,000 décisions qu’elle a fait depuis le début. Le ministre peut annuler ses décisions, mais un tribunal indépendant existe pour entendre les appels.

Cependant, comme toute bonne réglementation, elle comporte certaines conséquences inattendues. Premièrement, les spéculateurs investissent à bas prix dans des parcelles de terres agricoles autour des villes en attendant qu’elles soient redésignées pour le développement avec d’énormes bénéfices attendus. En attendant, ces terres agricoles de premier ordre restent souvent en jachère. Le Québec envisage une surtaxe sur ces terres en jachère pour décourager cela.

Deuxièmement, les spéculateurs fonciers font grimper la valeur de bonnes terres agricoles, contribuant ainsi à une valeur foncière extrêmement élevée qui rend difficile pour la prochaine génération de jeunes agriculteurs de se lancer dans l’agriculture ou de s’agrandir. Il existe de nouveaux programmes qui aident ainsi les jeunes agriculteurs.

Troisièmement, dans des régions qui ont besoin de se revitaliser, où les terres agricoles ne sont pas productives, le zonage empêche le développement économique de ces municipalités rurales. En modernisant la législation, le Québec propose que les municipalités rurales aient davantage leur mot à dire en soumettant des plans de développement sur ces terres protégées.

Pendant un examen parlementaire québécois de la Commission en 2015,[2] certaines de ces questions ont été soulevées et l’on a fait des recommandations pour moderniser le mandat de la Commission et de réduire ses rigidités. Ceci inclut l’exemption de certaines utilisations non agricoles et du rezonage de parcelles sous certaines conditions du scrutin de la Commission. L’une des plus importantes recommandations était de faire prendre compte la Commission des besoins et des conditions socio-économiques des communautés rurales quand on fait des décisions pour permettre leur revitalisation. Enfin, on recommande que la définition des producteurs agricoles soit revue et élargie et que les agriculteurs obtiennent des garanties sur les droits acquis relatifs à l’utilisation de leurs terres agricoles.

Les consultations  que le Québec annonce en juin 2023 sur la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles annoncées par le gouvernement québecois [3]  visent à trouver un équilibre avec la modernisation des politiques d’aménagement du territoire pour répondre aux préoccupations en matière de logement, du changement climatique et de sécurité alimentaire. Cependant, étant donné tous les enjeux, il n’est pas certain que le gouvernement obtienne un résultat qui permettra d’atteindre tous les objectifs qu’il s’est fixés pour la réforme.

L’approche du Québec, qui consiste en une consultation ouverte et crédible, continue d’être un modèle sur les politiques d’utilisation des terres et du zonage. Cependant, c’est le résultat qui compte vraiment tout en gérant les pressions démographiques, des préoccupations environnementales et sociales et de la spéculation. En tant que réseau de réflexion indépendant et  impartial, l’ICPA recommande que l’Ontario et les autres provinces feraient bien de s’inspirer de l’exemple du Québec et de l’expérience récente de l’Ontario en consultant toutes les parties prenantes, en respectant les promesses faites et, surtout, en fondant leurs décisions politiques sur des recherches fondées sur des données probantes pour résoudre ces problèmes épineux.

 

[1] Rapport parlementaire . 2015. Examen des orientations, des activités et de la gestion administrative de la Commission de protection du territoire agricole du Québec : observations, conclusions et recommandations / la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelle | BAnQ numérique

 

[2] Examen des orientations, des activités et de la gestion administrative de la Commission de protection du territoire agricole du Québec : observations, conclusions et recommandations / la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelle | BAnQ numérique

[3] Consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles – Agir pour nourrir le Québec de demain – Consultation Québec (quebec.ca)

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *