Collaboration spéciale
Les producteurs agricoles québécois seront bientôt invités à se prononcer sur le maintien ou non du monopole de représentation de l’Union des producteurs agricoles (UPA), leur syndicat professionnel qui représente toute l’industrie. C’est ce que vient d’annoncer le ministre de l’Agriculture du Québec, Laurent Lessard. Selon lui, ce sera bientôt chose du passé, alors que depuis 1972 la Loi sur les producteurs agricoles assure l’exclusivité à l’UPA.
Le débat sur la pluralité syndicale s’ouvrira officiellement en mars prochain, lors du dépôt du Livre Vert sur la future politique agroalimentaire du Québec. Un succès pour différents groupes comme l’Union paysanne, les Céréaliers du Québec, le Conseil des entrepreneurs agricoles ou l’Association des jardiniers maraîchers du Québec (AJMQ), dont les fortes pressions ont fini par ébranler le gouvernement du Québec. Ils ne sont pas seuls à proposer le pluralisme syndical. Il y a trois ans, c’était déjà le cas de la Commission Pronovost sur l’avenir de l’agriculture au Québec. Il y eu ensuite en 2009 le Rapport sur le financement de l’agriculture, rédigé par Michel Saint-Pierre. Toutes ces initiatives ont contribué à la remise en question du système syndical agricole unique du Québec.
La fin du syndicat unique ?
La fin du modèle unique d’exploitation devrait entrainer la fin du syndicat unique.
« Le modèle d’exploitation agricole unique, qui était en vigueur au Québec dans les années 70, a fait place à une véritable pluralité d’exploitations », a expliqué à LVA Michel Saint-Pierre, l’auteur du rapport. « Certains producteurs ont des intérêts spécifiques et ils devraient pouvoir être représentés de façon autonome. Le ministère de l’Agriculture doit laisser la liberté de choix totale aux producteurs, qui doivent être seuls à décider ». Message entendu à Québec : « C’est aux agriculteurs eux-mêmes de définir comment et par qui ils seront représentés dans l’avenir », a précisé Laurent Bourassa, porte-parole de Laurent Lessard. « Le débat aboutira à une consultation sur le pluralisme syndical en agriculture », a déclaré le ministre lui-même à Radio-Canada. «Le plus difficile sera de choisir le modèle à suivre. C’est un sujet facile puisqu’il s’agit de faciliter la démocratie, mais complexe à mettre en œuvre», a-t-il ajouté. Une fois le principe du libre choix accordé, quel modèle privilégier? Les difficultés commencent alors. Selon le ministre, « derrière cela, il y a le pouvoir de percevoir les cotisations ».
Partage des cotisations
L’ensemble des producteurs agricoles québécois constitue une seule unité d’accréditation représentée exclusivement par l’UPA, seule organisation habilitée. Si plusieurs syndicats succédaient à l’UPA en se répartissant les différents types de producteurs agricoles, ils se partageraient aussi les cotisations obligatoires dans le contexte légal actuel. Ce versement obligatoire, à la charge des agriculteurs, bénéficie aujourd’hui à la seule UPA, ce qui rend l’organisation très puissante financièrement. Le principe de la cotisation obligatoire est calqué sur la formule Rand, du nom d’un juge de la Cour Suprême du Canada qui a arbitré en 1946 le litige entre Ford et ses dix sept mille employés. L’objectif de la formule Rand était de permettre à un syndicat, qui représente les salariés compris dans une unité de négociation, d’exiger que l’employeur prélève à la source les cotisations syndicales, payables de manière obligatoire par l’ensemble des salariés membres de cette unité d’accréditation, même ceux qui ne font pas partie du syndicat.
Un modèle réservé aux salariés, transféré aux producteurs agricoles
Ce système ne devrait pas s’imposer dans le cas du syndicalisme agricole, puisqu’il ne s’agit pas de syndicalisme ouvrier, la plupart des producteurs agricoles n’étant pas des salariés. Seule la loi de 1972 a imposé cette situation en donnant à l’UPA à la fois le statut de seule association accréditée reconnue pour représenter l’ensemble des producteurs agricoles du Québec et le droit de percevoir des cotisations et des contributions obligatoires. Ce titre de représentant unique pour des producteurs indépendants n’existe pas ailleurs dans le monde. Au Canada, il y a par exemple trois associations reconnues en Ontario. Faut-il maintenir la cotisation obligatoire, même si l’UPA devait éclater en plusieurs organisations affectées à des accréditations plus limitées?
Consulter les agriculteurs sur le maintien de l’UPA ou sur la nécessité de changer la loi?
« Seule une nouvelle loi pourrait changer la donne », croit Michel Saint-Pierre, « il faut abroger celle de 1972. Le déséquilibre des moyens, en cas de consultation, serait trop fort entre l’UPA et ses concurrents potentiels. Il suffit de citer l’influence de l’hebdomadaire La Terre de chez nous ». Selon Benoit Girouard, le président de l’Union Paysanne, une association de petits producteurs agricoles qui dénonce le monopole de représentation de l’UPA, « il ne faudrait pas que cette consultation envisagée par le gouvernement soit un référendum, car cela deviendrait rapidement un plébiscite pour ou contre l’UPA. Or quand votre syndicat vous aide financièrement, il n’y a pas vraiment de vote libre ». L’UPA n’est évidemment pas de cet avis. Elle a affirmé publiquement à plusieurs reprises qu’il y va de l’intérêt des agriculteurs d’être regroupés. Pour elle, le morcellement du rapport de force des producteurs va à l’encontre de leurs intérêts et de toute norme syndicale au Québec. Qui serait susceptible d’ailleurs de remplacer l’UPA ?
De grands joueurs possibles pour remplacer l’UPA ?
Chaque catégorie de producteurs et de travailleurs agricoles pourrait être représentée par son propre syndicat. Par exemple l’Union paysanne, les Céréaliers du Québec, le Conseil des entrepreneurs agricoles ou l’Association des jardiniers maraîchers du Québec (AJMQ), mais d’autres joueurs apparaissent. Malgré les déclarations sceptiques du Vice-Président de l’UPA, Pierre Lemieux, qui vient de déclarer à l’hebdomadaire l’Oie Blanche : « Les grandes centrales syndicales des travailleurs comme la CSN et la FTQ n’ont jamais montré d’intérêt pour représenter les agriculteurs ». Il est vrai que la plupart d’entre eux ne sont pas des employés, mais des petits producteurs indépendants.
LA CSN, pas d’ingérence !
Michelle Filteau, directrice des communications de la CSN, confirme en entretien avec LVA son manque d’intérêt : « Pierre Lemieux a raison. Pour des raisons historiques, nous n’avons jamais eu l’intention de représenter ce secteur d’activité qui exige une expertise particulière. Nous entretenons d’excellents liens avec l’UPA et n’avons pas l’intention de nous ingérer dans les discussions en cours pour la représentation des agriculteurs ».
La FTQ, pas de maraudage mais…
Michel Arsenault, le président de la FTQ, n’est pas aussi catégorique. S’il affirme : « nous avons de bonnes relations avec l’UPA et n’avons pas l’intention de participer à une campagne de maraudage chez les agriculteurs », il ajoute cependant : « les syndicats des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), affiliés à la FTQ, représentent des travailleurs agricoles et mènent une lutte devant les tribunaux pour être reconnus au Québec et ailleurs au Canada depuis près de vingt ans ».
LA FCEI intéressée à faire un offre aux agriculteurs !
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) est, de son coté très intéressée par la représentation des producteurs agricoles de taille moyenne. Elle compte 107 000 membres propriétaires de petites et moyennes entreprises au Canada et se considère comme la voix puissante des PME, y compris des entreprises unipersonnelles. « Nous comptons 5000 membres agricoles au Canada, dont près de 1000 membres au Québec qui sont aussi membres de l’UPA », indique Marie Vaillant, directrice de la communication de la FCEI. « Si le gouvernement va de l’avant avec un tel projet, c’est certain que nous allons regarder à fond ».
Organiser toutefois une consultation des agriculteurs, en opposant la riche UPA aux organisations qui souhaiteraient représenter les différents métiers agricoles, risque d’être un combat déséquilibré.