Il y a quelques semaines, Stephen Harper y est allée d’une déclaration qui a soulevé les passions. Dans l’Ouest canadien, il expliquait que les gens habitant en régions éloignées étaient en droit de posséder des armes pour se défendre, surtout s’ils sont hors de portée d’une intervention policière rapide.
Avec raison, plusieurs se sont inquiétés de son ouverture à la culture américaine des armes à feu, qui ne manque pas d’adeptes dans le mouvement conservateur canadien. Qui souhaite vraiment l’importation de cette obsession toxique au Canada?
Plus qu’Harper, on visait les ruraux !
Mais la vague de mépris qui s’est déchainée sur le premier ministre ne visait pas que lui. Très vite, on a compris que la cible était plus vaste. Ce sont les ruraux qu’on désignait à la vindicte populaire, en les présentant comme des attardés, des culs-terreux, caressant leurs carabines comme d’autres leurs parties intimes. Autrement dit, leur point de vue sur le monde ne mériterait pas d’être entendu. À quoi bon donner la parole à ceux qui trainent la patte devant les grandes valeurs des métropoles – du moins, c’est ainsi qu’on les représente.
L’homme de notre temps ne comprend plus grand-chose à l’enracinement. Ce qui se passe à l’extérieur des quelques quartiers où il a ses habitudes et ses repères le déboussole. Il se veut mobile et capable de changer de vie dès qu’il en a envie. Il se prend, en quelque sorte, pour un individu absolu, libre de toute attache et disposant du fondamental de révoquer tous ses engagements si le désir n’y est plus. La modernité, on le sait, pousse à la dissolution du lien social, et on peut craindre qu’elle parvienne à ses fins.
L’homme rural, un rapport charnel à la terre
De ce point de vue, la figure de «l’homme rural» lui semble incompréhensible, au mieux, détestable, au pire. Voilà un homme qui témoigne d’un rapport charnel à la terre, surtout si elle appartient d’une manière ou d’une autre à sa famille depuis plusieurs générations. À sa manière, il habite un monde qui le précède et lui survivra. Il a comme premier devoir de faire fructifier son héritage. Autrement dit, il ne s’agit pas pour lui de jouir sans entraves, de tout dépenser de son vivant comme si l’histoire du monde s’arrêtait avec lui. Ce qu’il a reçu, il doit le transmettre.
Il ne s’agit pas de dire que la terre ne ment pas et de s’enfermer dans la nostalgie du vieux monde paysan. Mais on peut et doit se demander si de vieilles vertus ne se sont pas perdues avec notre entrée dans la modernité urbaine. Celle de l’enracinement, justement. Celle de transmission, de la même manière. Et peut-être aussi, un certain réalisme, un sens de la mesure. La prudence prêtée aux ruraux n’est pas un fatalisme devant l’existence. C’est aussi une manière de se rappeler que si nous ne prenons pas soin de notre monde, il se dégradera.
En un mot, il ne s’agit pas de vomir les urbains et d’idéaliser les ruraux. Mais c’est une sottise de les traiter comme des attardés