Le débat sur la gestion de l’offre semble confronter les 13 500 producteurs canadiens de lait, de volaille et d'œufs, qui représentent le huitième de toutes les fermes au pays, contre les 35 millions de consommateurs canadiens qui sont forcés de payer systématiquement plus pour ces produits, ainsi que pour d'autres qui les utilisent comme ingrédients.
Ce système est particulièrement anti-solidaire et régressif. Selon une récente étude réalisée par des chercheurs de l'Université du Manitoba, il impose un coût additionnel de 339 $ par année aux ménages qui comptent parmi les 20% les plus pauvres, ce qui représente 2,29% de leurs revenus (le coût monte à 554 $ par année pour les ménages les plus riches). En pourcentage des revenus, ces mesures touchent les ménages pauvres cinq fois plus que les ménages riches.
Il est loin d'être clair, par contre, que l'abolition du système de gestion de l'offre serait aussi catastrophique que ne le laissent entendre les groupes d'intérêt. Au tournant du siècle, l'Australie a éliminé avec succès le système de gestion de l'offre (qu'elle avait inventé dans les années 1920) dans son industrie laitière. L'industrie ne s'est pas effondrée après cette déréglementation. Oui, les producteurs les moins efficaces ont profité de compensations qu'ils ont reçues du gouvernement pour se retirer du secteur ou réorienter leur production, le nombre de fermes diminuant de 50% entre 1999-2000 et 2012-2013. Mais ceux qui sont restés ont pu accroître leur production et prospérer, la production par ferme ayant augmenté de 71% durant la même période. En passant, à Sydney, un litre de lait régulier se détaille 1,30 $ alors qu'à Montréal, on paie au bas mot 1,55 $.
Par ailleurs, cette confrontation sème la zizanie au sein même des entrepreneurs agricoles canadiens. Plusieurs voudraient avoir plus de liberté pour vendre leurs produits. Mme Morris, par exemple, produit un fromage bleu, le Blue Celtic Reserve, qui a été couronné parmi 1 779 autres comme Grand Champion du concours de l’American Cheese Society. Mme Marris a pu faire goûter son délicieux bleu au premier ministre Harper au 24 Sussex, qui en a d’ailleurs donné comme cadeau à la famille royale britannique, laquelle, selon le Prince Charles, s’est délectée! Évidemment, les commandes ont afflué mais, comble de malheur, la production de lait Brown Swiss de son fournisseur Otto Rimann est limitée par la gestion de l’offre et Mme Morris n’a pas pu saisir l’opportunité d’augmenter ses revenus, se contentant de réduire la taille des portions de son bleu et devant même refuser des commandes.
Ian Cumming, lui, a tout simplement cédé sa ferme ontarienne à son fils et en a acheté une autre dans l’État de New-York, près de la frontière canadienne. Les américains, dit-il, adorent notre système de gestion de l’offre. Les exportations américaines de produits laitiers vers le Canada ont augmenté de 609 millions de $ en 2010 à 900 millions de $ en 2014 (et plus encore en 2015). La science, l’innovation et le capital finissent toujours par gagner contre la réglementation. Les exportations non tarifées des nouveaux isolats de protéines laitières font le bonheur de l’industrie laitière du nord des États-Unis et des transformateurs canadiens. M. Cumming se dit reconnaissant du public canadien qui appui la gestion de l’offre canadienne et souhaite ardemment que cet appui continuera…