Le changement est ce qu’il y a de plus difficile !

Je viens de terminer la lecture du livre: Une crise agricole au Québec cosigné par Simon Bégin, Yan Turmine et Yannick Patelli. Le moins que l’on puisse dire de ce livre est qu’il est engagé pour ne pas dire pamphlétaire. C’est sans doute pour cette raison qu’il porte son lot de questionnements et d’incertitudes. Deux pôles majeurs identifient ce livre: l’État et les producteurs. Les deux ayant pour habitude d’utiliser une force d’action similaire, celle de l’inertie. Comme il est coutume de dire le changement est ce qu’il y a de plus difficile.

Et dans le dossier du lait, ce refus d’agir va éventuellement s’avérer catastrophique. Reste qu’une erreur fondamentale s’est posée dès la mise en place du plan conjoint.

Nous connaissons tous comment fonctionnent les gouvernements et les syndicats de producteurs. Un de mes anciens patrons qui fut le premier président de la Régie des Grains terminait parfois une présentation par une boutade: un ministère c’est comme un éléphant. Ça brasse en haut, mais il n’y a rien qui bouge en bas. Ce qui revient à dire que les dirigeants brassent, mais ne décident pas beaucoup.

J’ai passé plus de cinquante ans en agriculture. Plus particulièrement, durant les quarante dernières j’ai rencontré beaucoup de producteurs dans le milieu coopératif, dans le milieu syndical et pour des entreprises privées.

Au début des années 80,  j’ai représenté la Coopérative fédérée et la Chambre de commerce dans le dossier du Nid-de-corbeau. L’UPA, en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et la Coop fédérée, avait alors mis sur pied la Coalition pour la survie de l’agroalimentaire. Sans vouloir m’appesantir sur ce dossier, je crois qu’il aurait dû occuper une place plus importante dans ce livre. Pour une raison essentielle : c’est le seul dossier qui a su réunir et unifier tous les secteurs de l’économie sous toutes leurs formes : l’UPA bien sûr, le mouvement coopératif, les meuniers privés, les centres régionaux, les abattoirs, l’association de consommateurs sans oublier le ministre provincial de l’agriculture M. Jean Garon, tous les députés de l’Assemblée nationale sans exception et j’en passe. Au Québec le dossier faisait l’unanimité. Et de plus il a fait l’objet d’une médiatisation extrêmement efficace. Les seules oppositions exprimées sont venues des provinces des prairies qui elles- mêmes étaient divisées.

Cette situation est unique. Je peux dire ici qu’Ottawa a fait beaucoup d’efforts pour briser cette coalition, mais il a échoué et cela a retardé de dix ans les changements majeurs à l’agriculture de l’ouest. Mais le message était reçu.

Dans le cas du dossier du lait aujourd’hui, il est perçu comme étant d’intérêt privé. Ce qu’il est en réalité. L’occupation du territoire n’est pas un sujet qui représente quelque chose de tangible pour les citoyens. Quand on occupe deux emplois, qu’on complète son revenu dans une banque alimentaire et qu’on s’endette pour se convaincre que l’on fait toujours partie de cette société, on a d’autres préoccupations que l’occupation du territoire. De plus, à tort je crois, on se fait dire que les consommateurs paient plus cher qu’ailleurs. Pour ces raisons, entre autres, il n’y a pas unanimité et c’est là son point faible. Dans la course à la chefferie du parti conservateur, nous avons entendu Steven Blainey reprocher à Maxime Bernier d’écraser les producteurs de sa région. Celui-ci s’est contenté de répondre que les consommateurs payaient deux fois plus cher qu’ils ne devraient et qu’il fallait en finir avec la gestion de l’offre. Je parle ici d’un député en zone rurale dont beaucoup de commettants sont directement touchés et qui se fait quand même élire.

Je crois que c’est une question de temps avant que la gestion de l’offre ne tombe, mais le réveil sera brutal. Et comme toujours nos gouvernements vont essayer de jouer aux pompiers.

J’écrivais plus haut que le fond du problème s’est posé dès le début. Jamais les quotas de lait n’auraient dû être donnés aux producteurs. D’ailleurs aucun quota ne devrait jamais être donné à des individus. La mise en place de quotas a des effets majeurs sur toute l’infrastructure d’approvisionnement, de production et la consommation. Cela implique une responsabilité qui se doit d’être gérée par une autorité neutre et surtout représentative à la fois de l’état, du milieu agricole et des consommateurs. Ces quotas auraient donc dû être émis sous forme de location, l’état en demeurant propriétaire. De beaux maux de tête pour la gestion, mais surtout les moyens d’avoir une vision à moyen et à long terme.

Ce n’est absolument pas normal qu’un tel cadeau, qui s’est aussi parfois avéré être un cheval de Troie, soit fait à des individus aux frais de toute la population. En agissant de la sorte, nous avons mis en place une machine à imprimer des billets qui, avec le temps, ne pouvait que fausser le but premier du système. Une décision prise en Ontario récemment et décrite dans le livre en est un bel exemple. C’est également le cas avec le poulet et les œufs. D’ailleurs c’est le cas avec tous les systèmes contingentés. C’est fascinant de constater que, quand quelque chose veut servir pour le bien de la collectivité il se trouve des intérêts particuliers pour venir l’en empêcher. Même nos corporations étatiques sont visées. On a qu’à penser aux discussions qui tournent autour de la SAQ, de LOTO Québec et d’Hydro-Québec. À ce chapitre l’Ontario a même un pas d’avance sur nous.  Le vrai pouvoir n’est pas là où on pense.

C’est la nature de la bête je suppose. Et la garder en cage demande beaucoup de courage.

N’oublions pas que chaque quota est un monopole. Tant qu’il est en place, c’est un revenu garanti. Ce qui est tout à fait correct puisqu’il s’agit de couvrir les coûts de production et de rémunérer le producteur au niveau d’un travailleur spécialisé pour faire un travail essentiel. Quand le quota prend de la valeur, même s’il n’est pas inclus dans le calcul du coût de production, il vient fausser ce processus et crée des situations d’endettement ou d’enrichissement sans aucun lien avec les besoins réels de la production laitière. Il ne fait qu’imposer un coût artificiel au consommateur et éventuellement une dette à la société. C’est ce que j’appelais le cheval de Troie.

Plus désastreux encore est de n’avoir rien fait au milieu des années 90. Quand un changement fondamental comme la mise en place de l’OMC arrive, il est temps de réfléchir aux changements qui s’annoncent. 

Ce livre déplore plusieurs situations indésirables survenues avec le temps. Mais elles ne sont que des décisions prises par des humains qui, soumises à des pressions, doivent faire des compromis qui les mènent souvent à des compromissions. Ces situations sont fréquentes et, comme le démontre l’état des finances publiques, une bonne partie de la dette et des impôts payés ont servi et servent encore pour cette mauvaise gestion et pour les feux qu’on a tenté d’éteindre. Pour citer M. Bernard Landry : «si nous ne nous occupons pas de la politique, la politique va s’occuper de nous.»

Mais comme l’a si bien dit Confucius lui-même: je suis ce que je suis et seulement ce que je suis.  

André Bergevin

 

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