Un dîner avec Philippe Couillard

Entrevue Éditoriale Exclusive

NDRL : Ce texte est allé sous presse quelques jours avant de connaitre qui sera le nouveau chef libéral du Québec

La Vie Agricole a rencontré en entrevue éditoriale Philippe Couillard lors de ses déplacements en région dans le cadre de sa course à la chefferie du parti libéral du Québec. Nous avons choisi la formule “Un dîner avec Philippe Couillard“, histoire de le mettre à l’aise et d’échanger librement sur les enjeux qui attendent le Québec. C’est donc dans une ambiance chaleureuse au réputé restaurant Chez Octave, que j’ai mangé mes pâtes à la sicilienne avec celui qui deviendra peut-être un jour Premier Ministre du Québec.

Après nous avoir rappelé que son grand-père et son père sont originaires tous deux de Montmagny puisqu’il est un descendant de la célèbre famille Couillard de Montmagny*, nous pouvions initier cette rencontre de 45 minutes.

“ J’ai des racines profondes ici. Je suis de la vieille famille Couillard de la région de la Côte-du-Sud. Mon grand-père Jean-Marc Couillard était médecin ici et mon père est né à Montmagny.“ de dire Philippe Couillard comme entrée en matière.

Pourquoi avoir l’ambition de devenir premier ministre du Québec lorsqu’on gagne bien plus dans le privé ?

“Parce que je pense qu’on ne rend pas service au Québec s’il est toujours dirigé par les mêmes politiciens. Le Québec ne peut pas être composé que de politiciens de carrière. Il faut des gens qui entrent et qui sortent“

Vous avez dit vouloir relever le discours sur le fédéralisme au même niveau d’émotion que le discours indépendantiste, sur quelles valeurs allez-vous travailler ?

“Être Canadien ce n’est pas seulement une question comptable, c’est aussi une manière autre de se définir comme peuple. A l’heure où plusieurs pays se développent dans de grands ensembles je ne crois qu’on y gagnerait à se replier sur nous-mêmes. Les indépendantistes défendent un idéal légitime, les fédéralistes parlent de réalités. Il faut monter le discours fédéraliste au niveau des idéaux. Plutôt que de parler comptabilité il faut parler de la qualité fondamentale du fédéralisme qui se traduit par l’union des communautés sur un grand territoire et la mise en partage sur le plan économique, social et culturel“ Le fédéralisme donne beaucoup de latitude dans son fonctionnement contrairement à ce que l’on dit au Québec selon Philippe Couillard. “ Beaucoup de pays fédérés soit dit en passant rêveraient d’avoir le degré d’autonomie des provinces canadiennes. Mais comme le Québec est distinct il faut reprendre les conversations avec le Canada pour qu’il reconnaisse formellement le caractère spécifique du Québec“ d’ajouter le candidat favori à la chefferie du parti libéral.

Vous avez dit le 2 février dernier être en faveur de l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole notamment pour soutenir les programmes sociaux québécois. Que répondez-vous aux environnementalistes (une base importante des électeurs québécois) qui craignent ces développements ?

“Il faut exploiter les richesses de façon responsable. On ne peut pas apporter la réponse au financement social en taxant les gens toujours plus, il faut profiter des richesses sous nos pieds, il faut le faire.“ Philippe Couillard croit sincèrement être en mesure de vendre cette idée à tous les québécois. Il y a dans cet homme une grande assurance qui rappelle Lucien Bouchard lorsqu’il a pris les rênes du Québec. L’homme a bien des chances de séduire et ensuite d’imposer ses vues à des électeurs sous le charme. Mais au bilan, une fois l’opération séduction passée, il n’est pas toujours si évident que même les résultats de Lucien Bouchard changèrent tant que cela la société québécoise. Alors est-ce que Philippe Couillard pourra relever le défi ?

Challenger sur les faits rapportés par plusieurs écologistes qui craignent des contaminations lors de l’exploitation des ressources naturelles, comme celles connues aux États-Unis, Philippe Couillard explique que ce sont toujours sur les mêmes cas que l’on focusse alors que d’autres réalités seraient tout à fait respectueuses de l’environnement. “Aux États-Unis on ne parle que de la Pennsylvanie et pas des autres états. On ne parle pas non plus de la Grande-Bretagne qui a repris l’exploitation du gaz de schiste. “

Ne craint-il pas que l’exploitation des ressources naturelles nous enrichissant ne risque au final de donner du “gaz“ à la l’indépendance qu’il combat : “ Oui si la promotion de la nation ne se fait que sur une base comptable. Moi je préfère le modèle fédéral au rétrécissement de nos horizons sur un seul pays et je souhaite que le Québec ne soit plus récipiendaire de la péréquation qu’on soit fédéraliste ou pas. C’est dans l’intérêt du Québec d’être moins dépendant en exploitant ses richesses.“
Vous avez eu le courage de dire que la diversité syndicale en agriculture pourrait être une avancée répondant aux attentes des agriculteurs. Pensez-vous que la société québécoise soit prête à un tel changement et comment faire alors que L’UPA a une si grande influence ?

“C’est aux agriculteurs que revient ce choix-là. La représentation unique existe depuis 1972. Elle a eu des avantages. De la soumettre à une discussion est raisonnable. Il faut la mettre sur la table là maintenant.“

En lui rappelant que le Conseil des Entrepreneurs Agricoles, une association militant pour la diversité syndicale a déjà plus de 2500 signatures de soutien d’agriculteurs de partout à travers le Québec lui est posé la question à savoir comment il va gérer cela ?

“Mettre la chose sur la table“ de répéter Philippe Couillard. “L’UPA est un actif. Les agriculteurs doivent s’exprimer là-dessus. Peut-être que la diversité peut se faire à l’intérieur de l’UPA. Mais ce n’est pas au gouvernement de décider ça c’est aux agriculteurs. Chose certaine, le temps est venu après 40 ans d’avoir un débat sur la question.“

La consultation pourrait être confiée à la Régie des marchés agricoles du Québec au lieu de convoquer une commission parlementaire pense-t-il. S’il reconnait que L’UPA a été un véritable moteur de développement pour l’agriculture du Québec, l’homme semble bien conscient des enjeux de la modernité. On sent bien la prudence dans les propos en raison fort probablement de la force syndicale de l’UPA dans la sphère politique. Mais il est clair que Philippe Couillard est de la trempe des politiciens qui ne reviennent pas sur la patinoire pour laisser le Québec figé dans les années 70. Il veut le moderniser et l’enrichir. Rares sont les politiciens qui osent avancer librement sur le délicat sujet du monopole syndicale au Québec. C’est tout à son honneur.

Que répondez-vous aux détracteurs des libéraux entre autre l’ancien ministre de l’agriculture Jean Garon qui disent que les libéraux travaillent pour le bien individuel et les souverainistes pour le bien collectif ?

“C’est artificiel de classer les gens de cette façon. Les intérêts communs sont la somme d’intérêts individuels orientés vers les intérêts collectifs“ Quand à la question de la perception négative des libéraux au regard de la commission Charbonneau qui défile sur nos écrans depuis des mois, Philippe Couillard tranche : “ On verra mais y’en aura pour d’autres formations politiques également“

De quelle manière seriez-vous un premier ministre qui ferait une différence pour les régions en comparaison à ce qu’a fait Jean Charest et en comparaison à ce que fait Pauline Marois ? Et que feriez-vous pour sortir le Québec de son engorgement dans le domaine de la santé ?

Il nous parle avant tout de son dada, faire un gouvernement ouvert et transparent pour les citoyens ce qui leur permettraient de suivre quasiment en temps réel les dépenses du gouvernement. Une nouvelle approche que l’on espère plus réaliste que la “réingéniérie“ qui fut un temps le joker de Jean Charest. Pour ce qui est de la politique régionale en soit, il ne semble pas ébloui par les réalisations de la première ministre actuelle.

“Ce n’est pas encore très clair ce que fait Mme Marois dans le développement régional. Elle vient de fermer des mini-centrales. Ce qui est certain c’est qu’on ne peut pas opposer les villes et les régions. Il faut baser les relations des deux sur l’innovation qui n’existe pas seulement dans les domaines informatiques ou pharmaceutiques mais aussi en foresterie et en agriculture.“ Il nous rappelle qu’il sera quelques minutes après le dîner à La Pocatière pour visiter un incubateur du secteur bioalimentaire.

“Moi je crois que les régions sont porteuses d’innovation qui valent autant que dans la Métropole ou dans La Capitale Nationale.“ Pour ce qui est du système de santé, il ne faut pas perdre du vue que nous voulons un système public plus performant “Il précise au passage que Montmagny a bénéficié sous le gouvernement Charest de rénovations dans son hôpital ce qui a permis d’attirer de nouveaux médecins“. Mais s’il confirme son souhait du maintien de la couverture de santé publique universelle, il précise que la population confond souvent financement privé et prestation privée. En bref, il vise à développer un système où les soins seraient gratuits car couverts par l’État mais les structures (comme les GMF – Groupes de Médecines Familiales) privées sur le modèle du système de santé français. Reste tout un travail de communication à faire pour que les citoyens comprennent bien la nuance et ne prennent pas peur dès que certains opposants sortent les épouvantails

Comment justifiez-vous votre proximité avec la théocratie islamiste de L’Arabie Saoudite alors que vous prétendez devenir premier ministre du Québec, une société fortement sociale-démocrate ?

À cette dernière question délicate, il rappelle sans s’offusquer (l’homme a du vécu politique pour maitriser toutes les situations) que le Québec et le Canada forment des étudiants qui proviennent de l’Arabie Saoudite et qu’échanger ne veut pas dire valider toutes les théories de tous les pays avec lesquels on collabore. Tout le Québec et le Canada a des contacts avec eux sans cautionner leur mode de vie selon Philippe Couillard. “ Je vous rappelle que leur ministre de la santé, que oui j’ai conseillé, a été entrainé au Canada. “ Il rappelle aussi que nos sociétés ont des similitudes : “ Ils ont aussi un système universel de santé et lorsque je vais avec d’autres médecins les rencontrer on parle des mêmes problèmes : soins de première ligne, maladies chroniques, prévention“. Bref quand un médecin rencontre un autre médecin qu’est-ce qu’ils se racontent, des histoires de médecins, peu importe leur religion !

À l’image de Lucien Bouchard dans le passé pour les péquistes saura-t-il être le leader favori des libéraux pour amener les québécois à rêver de nouveau et réveiller leur fierté. Toutefois il fera face à la même critique que Lucien Bouchard quant à ses activités dans le secteur privé et risque parfois d’être perçu plus comme un opportuniste que pour le sauveur du Québec. Mais est-ce le prix à payer pour ne pas laisser la patinoire politique à des politiciens de carrière comme le disait Philippe Couillard au début de son entrevue !

Yannick Patelli

*Guillaume Couillard, sieur de L’Espinay, arrivé en 1663 au Québec qui fut le premier colon français de Nouvelle-France anobli par le roi Louis XIV.

NB : Lorsque vous lirez ces lignes, le parti libéral aura fait son choix pour le représenter dans les prochaines élections provinciales.

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