L’abattoir Levinoff-Colbex est proche de la faillite

par Gérard Samet
Les producteurs québécois, qui vendent leurs vaches de réforme sont mécontents et le font savoir. Ils veulent connaitre la vérité sur l’abattoir Levinoff Colbex qui se trouve en faillite virtuelle et qu’ils sont obligés de renflouer en permanence. Beaucoup refusent de continuer à lui vendre leurs vaches de réforme, payées bien plus cher en Ontario. Ils se demandent pourquoi maintenir une organisation commune de marché qui ne sert pas leurs intérêts tout en leur coutant si cher.

 

Maitriser l’abattage pour faire face à la crise de la vache folle

Tout a commencé lors de la crise de la vache folle, au début des années 2000. Pour relancer les ventes de viande bovine québécoise de réforme dans cette situation d’urgence, face au manque de confiance du marché mondial de l’époque, la Fédération des producteurs de bovins  (FPBQ) décide d’améliorer son outil de mise en marché collectif, le plan conjoint. Pour rendre le produit plus  compétitif et faire participer les producteurs aux plus-values des ventes, il est décidé par la FPBQ de devenir maitre de l’abattage des bovins de réforme.

Les producteurs créent le « Fonds de développement de la mise en marché des bovins de réforme », afin de se constituer une réserve financière destinée à ce projet. À partir de décembre 2004, chaque producteur est tenu de contribuer à hauteur de 20 $ pour chaque vache de réforme qu’il met sur le marché. Ce système est mis en place afin d’amasser 6 M$, somme considérée  comme suffisante pour l’achat d’un abattoir. Le prélèvement cesse d’ailleurs le 30 novembre 2007, l’objectif financier ayant été atteint.

 

Le grand abattoir central Levinoff-Colbex, un luxe adapté à la crise?

Un débat a lieu à l’époque entre les partisans de l’acquisition, pour le prix total de 6 M$, de plusieurs petits abattoirs répartis sur le territoire du Québec, et ceux qui voient une opportunité dans  l’acquisition d’un abattoir central, très grand et ultra moderne, situé en Estrie. Finalement le grand abattoir central est choisi, ne serait-ce que pour obtenir un prix d’achat plus élevé des animaux, mais le coût d’un tel équipement dépasse largement les 6 M$ prévus initialement.

Le gouvernement du Québec annonce en 2005 l’attribution d’un prêt de 19 millions$ à la FPBQ. Le prêt, déboursé par Investissement Québec, le bras officiel du gouvernement, permet à la FPBQ  de créer une société en commandite  pour acheter  à la famille Cola, les actifs d’Abattoir Colbex inc. et des Produits de viande Levinoff  ltée, deux entreprises situées à Saint-Cyrille-de-Wendover et à Montréal. La FPBQ détiendra 80 % de la propriété de la société en commandite. La société fait l’acquisition de l’abattoir le 1er janvier 2006, au nom des producteurs concernés.  Cet abattoir est une véritable « Cadillac », la plus importante usine d’abattage et de transformation de bovins de réforme de l’est canadien. Ce sont les cotisations  des producteurs qui doivent le payer, mais l’objectif  de la FPBQ est de rehausser les cours de la viande bovine de réforme, ce qui est conforme à l’intérêt de ses membres.

 

 

 

 

Hypothèses sur le dépassement du prix et son financement

L’abattoir aurait été acheté au « prix de 62,5 M$ », une estimation de Vincent Kelhetter, de l’Association de défense des producteurs de bovins, un groupe de producteurs dissidents, qui conteste  les cotisations  obligatoires prélevées spécialement pour l’abattoir, dans une lettre ouverte au président de l’UPA, Marcel  Groleau.

La FPBQ  aurait mis sur la table 25 M $, soit 19 M$ d’Investissement Québec et les 6 M$ prélevés sur les producteurs de vaches de réforme, ce qui correspond aux 80% du capital de la société en commandite, les 20%  restant  du capital étant détenus par les vendeurs, la famille Cola, soit une valeur de la moitié du prix. L’autre moitié du prix de  62,5 M$ aurait  été financé directement  par un  autre crédit de 31,25 M$, assumé par la société en commandite grâce à l’exploitation de l’abattoir.

En mars 2008, un emprunt supplémentaire de 30 M$, est accordé directement à la société propriétaire de l’abattoir. Son objectif aurait été de faciliter le fonds de roulement nécessaire au paiement des engagements financiers  de l’abattoir et de son exploitation, déficitaire, malgré un chiffre d’affaires annoncé pour l’époque de 100M$.

 

Qui a autorisé un tel dépassement de coût?

Qui a permis une telle acquisition, qui dépassait largement  les 6M$ initialement autorisés? Selon Adrien Breault, président de l’Association de défense des producteurs de bovins, « la décision a été prise par une Assemblée Générale » de la FPBQ ou directement de l’UPA, « sur la base d’une entente non chiffrée » et en amendement du plan conjoint. « Elle a été soumise au vote de membres pas tous concernés par l’abattoir des bovins de réforme. Habituellement, seuls 5% des membres sont présents et votent ».

L’acquisition de Levinoff-Colbex aurait été décidé, selon monsieur Breault, « sans aucune transparence et en ne respectant que formellement les règles démocratiques ». Il estime qu’il s’agit de la seule explication pour expliquer « comment un investissement total 15 fois supérieur aux 6M$ décidés initialement a pu être autorisé ».

La FPBQ, qui n’a pas répondu aux questions écrites de La Vie agricole, estime sur son site, que c’est à la suite d’une tournée de consultation sur le financement de l’entreprise, que  les producteurs de bovins de réforme ont majoritairement voté en faveur d’une contribution de 53,86 $ par bovin de réforme pour financer le surcoût de l’abattoir.

 

La conséquence du plan conjoint est la soumission à la règlementation de la régie des marchés agricoles.

Ce processus d’acquisition de l’abattoir aurait été soumis à l’approbation et à la réglementation  de la Régie des marchés agricoles du Québec. Le paiement des cotisations et l’utilisation de l’abattoir paraissent  donc soumis au Règlement sur la production et la mise en marché des bovins de réforme du Québec, donc obligatoires. Il y est précisé que : « Nul ne peut mettre en marché des bovins de réforme autrement que par l’entremise de la FPBQ ». Tous les producteurs vendeurs de vaches de réforme, qu’ils aient accepté ou non l’acquisition de l’abattoir, sont ainsi tenus de la respecter.

 

 

 

« Il est plus rentable de vendre nos bêtes aux abattoirs de l’Ontario, malgré le coût du transport », Vincent Kheletter

 

 

La contestation s’amplifie, la FPBQ défendrait plus l’abattoir que les producteurs.

La mise en marché collective, décidée il y a plus d’un quart de siècle et amplifiée dans sa portée par l’acquisition de l’abattoir Levinoff-Colbex ne fait plus l’unanimité. « Nous ne sommes plus en situation de crise, le marché mondial ne peut pas nous acheter nos bêtes en dessous du prix »,

clame Vincent Kelhetter, qui ne voit pas la nécessité de garder une organisation collective de mise en marché, ni un abattoir commun et obligatoire.

« Il est plus rentable de vendre nos bêtes aux abattoirs de l’Ontario, malgré le coût du transport », dit-il. « On est mieux payé que par notre abattoir Levinoff-Colbex. La FPBQ ne nous protège plus, mais joue l’intérêt de l’abattoir en nous achetant nos vaches de réforme en-dessous du prix du marché. La FPBQ fait exactement le contraire de la raison pour laquelle l’abattoir a été acheté ».

Voilà pourquoi il est membre fondateur de l’Association de défense des producteurs de bovins, qui refuse de payer les cotisations pour un abattoir et un système qu’elle estime trahir leurs intérêts. Mais, ce que souhaite ce groupe avant tout, c’est de connaitre la vérité sur la situation. « Nous voulons comprendre les raisons de ce comportement et des choix qui sont faits par la FPBQ, en toute transparence », explique son président Adrien Breault.

Claude Saint-Denis, un autre producteur qui vend des vaches de réforme  exprime  la même idée. Mais lui, qui est administrateur de la FPBQ, élu de Saint-Hyacinthe, ne refuse pas de payer les cotisations. Il souhaite obtenir plus de transparence de l’intérieur. Sur cette promesse, il a doublé le nombre de votants lors de la dernière Assemblée générale de sa région. Il pense que le mouvement de contestation est en train de grandir au sein des membres de la FPBQ. « L’heure de la transparence et du droit à l’information sur tous les dossiers majeurs a sonné », croit-il. Pendant ce temps, lui aussi vend ses vaches de réforme en Ontario, pour gagner plus.

Pendant ce temps aucun repreneur ne s’est avéré intéressé par l’abattoir.

 

Un communiqué de la FPBQ annonce soudainement une assemblée extraordinaire des producteurs.

Selon la FPBQ, l’objectif ultime recherché lors de l’acquisition de Levinoff Colbex était le maintien d’une capacité d’abattage au Québec et l’obtention d’un juste prix pour les bovins du Québec. 

La  FPBQ  ainsi que Levinoff?Colbex reconnaissent  dans leur communiqué n’échapper à la faillite que grâce à la coopération des instances gouvernementales.

Grâce à l’action de contestataires qui ont attiré l’attention des médias, la FPBQ  semble désormais consciente du manque de transparence à l’égard de ses producteurs. Elle a annoncé une prochaine « assemblée générale spéciale qui fera le point sur le dossier Levinoff?Colbex ».  Pour justifier le manque d’information dans le passé, la FPBQ affirme qu’elle était liée par des ententes de confidentialité tant à l’égard du coût d’acquisition de l’abattoir que pour le contrat de gestion de l’entreprise.

La réalisation d’une nouvelle entente pour sauver l’abattoir, ne serait pas possible, selon la FPBQ, sans le maintien de la livraison de bêtes à abattre par les producteurs membres de la FPBQ, le support de l’Union des producteurs agricoles,  de la Fédération des producteurs de lait du Québec et surtout les soutiens financier des gouvernements provincial et fédéral.  

 

 

Selon La Presse du 29 mars, L’Union paysanne demande la mise sous tutelle de la Fédération des producteurs de bovins (FPBQ) afin de «remettre de l’ordre dans le cafouillis» créé par l’achat de l’abattoir Levinoff-Colbex. Le quotidien précise que la faillite de cet abattoir pourrait être annoncée dès le lendemain, selon un groupe de producteurs de bovins opposés à cette transaction, qui s’est révélée coûteuse et malheureuse.

 

Démission du président

Toujours selon La Presse une assemblée générale extraordinaire aura lieu le mardi 3 avril à Québec, afin de faire le point sur la situation de l’abattoir avec les producteurs, a indiqué Sonia Dumont, porte-parole de la FPBQ. Il est à noter que Michel Dessureault, président de la FPBQ, a démissionné le 20 mars.

 

 

Levinoff?Colbex, l’entreprise 

Propriété des producteurs de bovins de réforme du Québec depuis 2006, Levinoff?Colbex S.E.C. est le seul abattoir de bovins de réforme d’importance dans tout l’est du Canada. Il emploie 300 personnes.

Selon la FPBQ, l’abattoir spécialisé en bovins de réforme a pour objectif de favoriser une meilleure compétition sur les marchés.

La FPBQ chiffre à 36M$ l’investissement des producteurs de bovins dans l’entreprise, sans préciser s’il s’agit du montant total, ni son utilisation ou la répartition de cette somme contestée entre le paiement du prix et la trésorerie de fonctionnement de l’abattoir.

 

 

La Fédération des producteurs de bovins du Québec 

Fondée en 1974, la FPBQ est une association agricole constituée en vertu de la Loi sur les 

syndicats professionnels. Elle représente 21 200 producteurs répartis sur près de 

12 500 entreprises agricoles à travers tout le Québec. La Fédération est formée de 14 syndicats 

régionaux. Les producteurs de bovins du Québec commercialisent annuellement 

768 000 bovins pour une valeur à la ferme de quelque 615 M$, ce qui en fait la quatrième 

production animale en importance au Québec. 

 

 

 

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