La gestion de l’offre: une question de souveraineté

Sur une base régulière, on entend certains commentateurs remettre en question le système de la gestion de l’offre. On le dit exagérément biaisé en faveur des producteurs, comme s’il représentait une subvention massive et déguisée à leur avantage par l’ensemble de la population. Il représenterait, en fait, l’expression ultime d’un corporatisme agricole et il serait nécessaire, pour bien des consommateurs et des contribuables, d’en finir avec lui. C’est même le progrès qui en voudrait ainsi.

Il n’est pas certain que cette perspective soit la plus éclairée. En fait, elle révèle surtout un tropisme néolibéral de plus en plus puissant dans nos sociétés, qui veut qu’un marché pur, sans encadrement ni frontières, sans limites ni intervention étatique, soit le modèle optimal d’organisation sociale. À tout le moins, il s’agirait d’un idéal à poursuivre à travers la mondialisation et je note au passage qu’il anime le projet de libre-échange transatlantique dont je parlais dans ma chronique de février.

La question que pose la gestion de l’offre, au-delà de ses vertus et limites comme modèle de gestion de l’agriculture, c’est celle de la souveraineté nationale. Est-ce qu’un pays est en droit, aujourd’hui, de définir sa propre politique agricole? Peut-il aménager son espace, gérer ses ressources, organiser son marché, ou doit-il obligatoirement se dissoudre dans le grand tout de la mondialisation? Est-ce qu’un pays, autrement dit, peut faire le choix des politiques bonnes pour lui ou doit-il être privé de ses moyens d’agir, pour ne pas fausser la concurrence mondiale?

Avec raison, on me dira que ce problème ne touche pas seulement la politique agricole, mais plus largement, toutes les politiques qu’entend mener un État lorsqu’il entend défendre les intérêts spécifiques dont il est gardien. Un État peut de moins en moins directement financer un secteur économique particulier sans se voir accuser de protectionnisme avoué ou déguisé. On oublie toutefois que le libre-marché absolu, sans entrave, est surtout le droit donné aux petits de se faire manger par les gros.

Un État peut même de plus en plus difficilement défendre l’identité de son peuple puisque celle-ci doit se définir exclusivement à travers le culte des droits de l’homme mondialisé, comme si chaque pays devait démanteler sa culture historique et déconstruire son identité culturelle pour se transformer en terrain de jeu pour les citoyens du monde qui voient dans les mœurs, traditions et coutumes de chaque peuple autant d’obstacles détestables entravant l’unification économico-juridique de l’humanité.

J’en reviens à la gestion de l’offre. On devrait garder à l’esprit la chose suivante: c’est dans l’intérêt du Québec de conserver une agriculture dynamique, forte, vivante, et c’est le rôle de l’État de définir un cadre assurant la prospérité de ce secteur de notre économie. Et ceux qui s’en indignent au nom d’un contribuable cherchant à sauver trois sous devraient se souvenir que ce contribuable est aussi citoyen et qu’il est plus riche d’un pays avec sa propre production agricole que d’un pays déserté, devenu terrain vague, qui abandonnerait les siens. 

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