L’Arctique n’est pas a priori la région la plus propice aux activités agricoles en raison des conditions climatiques extrêmes, mais aussi du manque d’infrastructures ou des coûts d’approvisionnement très élevés. Le Groenland, les territoires au Nord du Canada, l’Alaska ou la Sibérie sont ainsi très dépendants des importations de nourriture et peuvent même connaître une importante insécurité alimentaire. Ainsi, alors que 12 % des ménages canadiens souffrent d’insécurité alimentaire, ce taux s’élèverait à 45 % dans le territoire des Inuits du Nunavut au Nord du pays. Cela s’explique par le coût très élevé du prix de l’alimentation lié principalement au fait qu’elle doit être transportée par voie aérienne.
Pourtant, différentes expériences montrent que des activités agricoles sont possibles dans cette région dans un contexte de réchauffement climatique rapide. C’est le cas au Nord du Canada avec une production locale de légumes sous serres. Le Sud du Groenland voit également l’agriculture se développer, que ce soit la production de légumes, de pommes de terre, de fruits ou de fleurs ou encore l’élevage, principalement de moutons, en raison d’un climat plus favorable, même si le territoire peut souffrir désormais de sécheresse en été. En Alaska, un agriculteur américain, Bryce Wrigley, parvient à cultiver de l’orge, tandis qu’un autre agriculteur, Tim Meyers, lui, a réussi grâce à une technique qu’il a développée à faire pousser des légumes bio sur le sol gelé du permafrost.
Mais certains voient beaucoup plus loin que cette simple agriculture de subsistance en développant des visions assez étonnantes. Une équipe franco-britannique a ainsi imaginé un projet appelé Arctic Harvester, qui consiste à exploiter d’un point de vue agricole l’une des principales ressources du Groenland, à savoir ses icebergs, en développant une agriculture hors-sol, mais aussi mobile, dans l’objectif de rendre le territoire autosuffisant sur le plan alimentaire. L’eau des icebergs riche en nutriments apparaît, en effet, particulièrement appropriée pour une agriculture recourant à la technique de la culture hors-sol (hydroponie). L’Arctic Harvester prendrait la forme d’un réservoir circulaire qui, à l’instar des icebergs, dériverait entre le Groenland et le Canada au gré des saisons et contiendrait en son sein des serres flottantes pour la récolte de fruits et de légumes, ainsi qu’un village flottant de quelque 800 âmes.
Mika Mered, le directeur du cabinet spécialisé Polarisk, affirme de son côté que le Groenland, l’Islande, voire la Yakoutie en Russie, pourraient devenir le « grenier du monde » avec le développement massif d’une agriculture sous serre faiblement émettrice de gaz à effet de serre. Dans une conférence organisée à Paris au mois de juin dernier, il est même allé jusqu’à affirmer que l’Islande pourrait potentiellement figurer parmi les 5 plus gros exportateurs agricoles mondiaux à l’horizon 2035. Sans aller jusque-là, l’Islande se targue en tout cas d’être le lieu privilégié pour une production agricole sous serre sans recourir à des pesticides, avec des coûts de production peu élevés et sans émission de CO2, les serres étant généralement installées à proximité de sources d’énergie géothermique et utilisant l’eau chaude et la vapeur de ces sources.