Quand un chauffeur de taxi parisien bloque un aéroport et fait le coup de poing pour demander l’interdiction d’Uber pop, que défend-il en réalité ? Trés prosaïquement la valeur de sa licence parisienne qui vaut 200 000 euros (300 000 dollars canadiens) voir plus par voiture et non l’exercice d'un métier (le transport à la demande) qui n'est pas menacé. La licence est un droit qui se transfère moyennant finances (tient, tient cela a un air de quota). Imaginez la catastrophe, l’apparition d’UBER et autre VTC va dévaluer la valeur de la licence, au final cette « non valeur économique ! ».
Les chauffeurs se battent donc pour conserver une barrière à l’entrée dans leur métier et donc le statu quo d’une profession qui rechigne à évoluer avec son époque. D’ailleurs près de 60% des licences parisiennes sont détenues par une seule entreprise qui les loue à des chauffeurs indépendants auxquels elle vend par ailleurs toute une gamme de services. Au final qui a donc l’intérêt principal dans ce conflit: les chauffeurs free-lance ou celui qu’on n’entend pas, le principal collecteur de la rente ?
La licence comme contrôle des structures agricoles.
Le monde agricole va vite comprendre ce qu'est une licence: en gros c'est un quota avec un contrôle des structures ! La préfecture délivre cette fameuse licence et les organisations professionnelles (tiens , tiens là aussi ! ) freinent depuis toujours l’attribution de nouvelles licences, elles entretiennent ainsi la pénurie de taxis pour protéger le chiffre d’affaires et la rente professionnelle des chauffeurs en place. C’est pourquoi à certaines heures il est difficile de trouver un taxi.
Les VTC sont donc pour partie nés comme une réponse à cette rareté. Le génie d’UBER comme d’AIRBNB dans l’hôtellerie, qui ne détiennent aucune voiture ni aucune chambre, a été ensuite de comprendre avant tout le monde la rupture générée par l’intermédiation directe par le WEB. Cela permet de connecter immédiatement, à faible coût, offre et demande mais aussi de donner une transparence et une sécurité aux échanges entre particuliers. Cela permet enfin à des particuliers disposant de quelques heures libres de « faire taxi ».
Une réduction importante des coûts fixes.
Ces deux innovations (intermédiation directe donc peu coûteuse, travail occasionnel donc variable) plus le contournement de la licence (supression d'un investissement lourd à financer) permettent donc une baisse importante des frais fixes. Sans doute une partie des économies générées par ce nouveau modèle va-t-elle chez le client mais on peut imaginer qu’une part importante alimente une nouvelle rente centralisée par l’opérateur UBER.
Appel à l’Etat pour rattraper un virage stratégique mal anticipé.
Chez nous le réflexe d’une profession qui n’a pas vu à temps le changement de contexte ( tient , tient il n’y a pas que l’agriculture…) est de demander l’intervention de l’Etat. Mais on imagine mal finalement l’interdiction effective d’un service en phase avec son époque et la demande des clients. Gageons qu’un accord finira par être trouvé sur les points d’illégalité d’UBER : social, fiscal, garantie…
Monde agricole comment ne pas se faire "Uberiser".
Cette actualité nous démontre qu’une rente de situation, même blindée par des digues administratives anciennes et rigides, n’est jamais sûre et peut même stimuler une offre créative… ainsi en agricole le développement rapide du travail à façon est quelque part une réponse à nos multiples freins structurels. Des propriétaires non exploitants,des retraités gardent leurs terres et les font exploiter en direct par un voisin …cela donne des opportunités aux agriculteurs en place mais interroge quant à la durabilité de ce mécanisme….cela mène sûrement à réfléchir sur la modernisation du contrôle des structures et le statut du bail rural.
Le nouveau modèle économique UBER,AIRBNB … nous interroge sur les secteurs de l’agriculture qui seront les premiers concernés : à coup sûr les travaux agricoles. Le modèle UBER peut se transposer très rapidement. Une plateforme d’intermédiation simple, ouverte et avec une garantie de paiement d’une part. D’autre part faire appel à des chauffeurs `intermittents“, comprenons ici des agriculteurs ayant un peu de temps disponible pour faire des heures avec leur propre matériel.
La mécanisation en première ligne pour baisser les coûts
Dans cette hypothèse les « victimes » Ubérisées sont les ETA* et CUMA** et les bénéficiaires directement les agriculteurs. En apparence simplement car de même que certains chauffeurs de taxi utilisent la plateforme UBER pour trouver des courses ou que des hôteliers font de même avec AIRBNB pour gérer leurs chambres, les ETA proposeront des heures dans les futurs Uber de la mécanisation agricole. Au final moins de coûts fixes d'intermédiation et sans doute globalement moins de matériels vendus, d'où vraisemblablement un intérêt des constructeurs à s'investir dans ce service comme les constructeurs automobiles s'intéressent actuellement au partage de voitures (Blablacar …). On peut imaginer également le même processus de transparence permettant de monétiser une disponibilité de places en bâtiment d'élevage ou plus facilement des capacités de stockage, des hectares ….
Le secteur des services sera sans doute également assez rapidement UBERISÉ .On peut notamment penser au secteur du conseil ou plus exactement de la grosse partie dite "du conseil" qui concerne en fait un transfert d'information. Les échanges de pair à pair pourraient se structurer par une plateforme permettant d’apporter une sécurité, une garantie et une monétisation des « conseils et informations gratuits » échangés dans les forums. Pourquoi ne pas penser également à l'enregistrement de données voir à certains actes juridiques.
Vers une "Ubérisation" des services aux agriculteurs ?
Enfin quand on sait qu’Amazone ou Google sont en cours d’investissement dans l'alimentaire et l’agriculture on entrevoit facilement une révolution numérique montante dont finalement les gagnants pourraient être les agriculteurs eux-mêmes comme le sont les particuliers avec UBER et AIRBNB. Les victimes « Ubérisées » seraient plutôt à rechercher du côté des nombreux prestataires de l’agriculture s’ils n’arrivent pas à s’adapter à temps à ce tsunami, voir à devenir eux-mêmes les futurs Uber de l'agriculture !
Voir le site de Jean-Marie Seronie pour en savoir plus: www.agroeconomie.com, le blog de cet expert agro-économiste français.
*Entreprise de travaux agricoles
**coopérative agricole dûment enregistrée et régie par la Loi sur les coopératives. D'origine française, les CUMA ont été implanté au Québec en 1991, chapeautées par M. Camille Morneau du MAPAQ au Bas-Saint-Laurent. Fondée d'au moins cinq entreprises agricoles, la CUMA a pour but principal d'utiliser en commun, au moindre coût possible, de la machinerie agricole, des équipements, des intrants, de l'outillage, etc.