Le contrôle de nos chaînes d’épicerie est une question d’intérêt national

Lettre ouverte
En 1998, j’ai décidé de ne pas me représenter comme député de Lévis malgré l’offre de Lucien Bouchard de me renommer ministre avant l’élection si je restais, parce que je savais que je ne pourrais pas m’entendre avec ce chef qui a trahi si souvent l’héritage de René Lévesque.
J’ignorais à ce moment-là que Lucien Bouchard était en train de vendre le contrôle de Provigo à la chaîne d’épiceries ontarienne Loblaw’s, sans dire un mot au public en pleine campagne électorale.
En revivant cet épisode récemment lorsque la vente de Provigo a refait surface durant la campagne électorale, je me suis dit que j’avais donc bien fait de ne pas me représenter. En tant qu’architecte du maintien du contrôle de Provigo au Québec, avec Jacques Parizeau, au début des années 1980, j’aurais été piégé. Pour comprendre cet enjeu, il faut se poser une question : comment se fait-il qu’entre 1976 et 1985 le taux d’autosuffisance alimentaire du Québec est passé de 47% à plus de 80% et que, depuis, il est redescendu à un creux historique de 30%?
Une bonne partie de la réponse tient dans la force du maillage entre le gouvernement et les grandes chaînes d’épicerie. Entre 1976 et 1985, sous René Lévesque, la force de ce maillage était à un sommet. Au cours de cette période, j’ai convoqué une vingtaine de conférences socio-économiques touchant à peu près tous les domaines de l’agroalimentaire. À chaque fois, tout le monde était autour de la table : producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs et le gouvernement. Les consensus visaient toujours à augmenter la part de la production québécoise dans l’assiette des consommateurs à qualité et coûts égaux.
Les relations personnelles qui se sont développées à travers tout ce processus ont également été un puissant outil de développement. Parce que nos chaînes étaient dirigées par des québécois que je connaissais personnellement, je pouvais les appeler pour leur demander un coup de main lorsqu’une production traversait une période difficile. M. Sam Steinberg, le grand patron de la défunte chaîne no 1 au Québec, Antoine Turmel, président de Provigo, ou Pierre Lessard, de Métro, m’ont toujours répondu favorablement Cela s’appelle de la proximité. Est-ce que le ministre de l’Agriculture d’aujourd’hui est capable de parler de ces problèmes avec le patron de Weston, le géant de l’agro-alimentaire qui contrôle Loblaw’s? Poser la question c’est y répondre. Une question d’intérêt national
Ce que Lucien Bouchard n’a jamais compris, parce qu’il ne comprend pas bien l’économie, c’est que le contrôle de nos chaînes d’épiceries est une question d’intérêt national au même titre que le contrôle d’Hydro-Québec. Jacques Parizeau et moi étions convaincus qu’il fallait mettre toute la force de l’État pour éviter que ces centres de décision ne quittent le Québec. C’est ainsi que nous avons gardé au Québec le contrôle de Provigo en mobilisant tous nos outils : la Société québécoise d’initiatives agro-alimentaires (SOQUIA) dans mon cas, la Caisse de dépôt et de placement et la Société générale de financement (SGF) pour monsieur Parizeau.
La vente du contrôle de Provigo pour contribuer à atteindre le déficit zéro a été comme débiter la galerie pour chauffer la maison. Après un certain temps, il n’y a plus de galerie et il fait toujours aussi froid.
Jean Garon
Ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation sous René Lévesque et ministre de l’Éducation sous Jacques Parizeau

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