Des agriculteurs en détresse, aussi une réalité ?

Le monde de l’agriculture, à l’instar de notre société, a suivi le progrès, mais à quel prix ? L’image que montrent aujourd’hui nos campagnes laisse très peu de place aux souvenirs d’antan. Les chaumières et les bâtiments délabrés des temps passés sont à toutes fins utiles perdus dans des racoins plutôt éloignés. Aujourd’hui, les producteurs agricoles donnent l’impression que la prospérité les a gâtés, que leur passion les a menés à l’aisance et, en même temps, qu’ils sont plutôt loin des misères de ceux que l’on appelait affectueusement les ‘’habitants’’.

Signes extérieurs de richesse
La réussite a ses signes extérieurs de richesse. Les petits troupeaux sont devenus des cheptels, tout l’attirail de ferraille s’est transformé en mastodontes aratoires, les granges majestueuses et les maisons stylisées font croire à l’opulence. L’imagination des citadins cultive le sentiment que la richesse s’est répandue dans nos campagnes.

S’il est vrai que la ténacité, l’acharnement, le travail, ont apporté la qualité de vie à de nombreux producteurs, pour d’autres tous les efforts et le courage ne leur ont pas réservé le même privilège.

Leur histoire reste en retrait, maquillée par le paysage bucolique de leur propriété.

Le quotidien prolonge leur angoisse et la noirceur s’installe sans laisser la moindre lueur. On appelle cet état; le désespoir.

Le voile n’a pas été levé, mais derrière la détresse ravage.

Une réelle détresse
Le constat est alarmant. De plus en plus de producteurs agricoles abandonnent, incapables de survivre aux horribles malheurs dont ils se sentent victimes.

L’abandon, pour de plus en plus d’entre eux, n’est rien de moins que le suicide. Les derniers chiffres devraient déjà avoir sonné l’alarme. Le décompte reste flou parce que ce fléau, puisqu’il faut l’appeler ainsi, ne montre pas du tout d’accalmie, d’autant qu’il fait des ravages dans toutes les régions agricoles du Québec. Au Québec, 3% de la population a déjà pensé sérieusement à se suicider. Chez les agriculteurs, ce taux passe à 5,7% et à 7,7% chez les producteurs de porcs. Des nouvelles réalités sont apparues ces dernières années constatent des organismes de prévention en santé mentale. La moitié des agriculteurs ont un niveau élevé de détresse, selon les recher¬ches colligées par l'organisme com¬munautaire l'Arc-en-ciel de la région de Portneuf, près de Québec. Les agriculteurs font partie d’un groupe social qui con¬sulte peu ou pas, dans la tradition séculaire des agriculteurs vus com¬me des «hommes forts», autonomes, maitres des lieux.

Pierrette Desrosiers*, une professionnelle qui sauve des vies
Les professionnels, qui multiplient les efforts pour secourir ces producteurs impuissants à réagir devant cette indomptable angoisse, décrivent un portrait bouleversant de ce qui se passe dans ces milieux. Ce qui semble le plus alarmant, ce sont toutes ces situations qui mènent à ces découragements et aux suicides.

Un article paru, il y a peu en France, montrait qu’à tous les deux jours en moyenne un producteur agricole mettait fin à ses jours. Ici au Québec la triste réalité n’approche pas heureusement ce rythme. On le comprend puisque la population du Québec n’est que le dixième de la France.

N’empêche que le mal est trop présent
Pierrette Desrosiers est psychologue en milieu agricole uniquement. Son expertise de quinze années lui permet de sauver des vies encore.

Seule femme psychologue à œuvrer auprès des producteurs, conjointe d’un agriculteur, elle raconte comment toutes ces transformations, dans le milieu des producteurs agricoles, ont généré tant d’obstacles et créer tant de cauchemars lesquels deviennent des Everest.

«Dans ce que l’on doit appeler le nouveau modèle de la production agricole on ne peut nier qu’en même temps seuls les acteurs humains ou animaux restent les mêmes. Le reste appelle aux changements que ce soit la relève, l’embauche du personnel, le gestion, la technologie, l’inévitable parcours vers l’enflure de l’entreprise et l’incontournable besoin de la relève » énumère du même souffle madame Desrosiers.

Plus rien ne se déroule de la même façon et au même rythme que ce qu’ont connu les plus âgés encore sur la ferme. Et tout vient rapidement, au point ou trop souvent les moins organisés ne trouvent plus les moyens de se sortir du bourbier. Pierrette Desrosiers ne chôme pas. Les patients se bousculent parce qu’ils ont confiance en cette femme énergique. Ils lui crient au secours impuissant à faire face à ce boum qui a fait de la ferme paisible un véritable chantier industriel.

« Je pourrais vous raconter des histoires à faire pleurer tellement il y a de producteurs qui croulent sur ces exigences presque surhumaines dans la nouvelle gestion de ces fermes devenues de véritables entreprises. Ceux qui ne se sont pas préparés à ce virage deviennent les plus vulnérables », dit-elle. Madame Desrosiers aborde les situations les plus problématiques.

« Il n’est plus si évident par exemple qu’une jeune femme soit prête à devenir fermière avec tout ce que cela comporte.

Puis les enfants de producteurs se font instruire sur l’insistance de leurs parents et souvent leur choix de carrière n’a rien de similaire à la carrière d’un producteur agricole. Et si c’est le cas, aujourd’hui le papa doit se lever la nuit pour le boire du nouveau-né plutôt que de surveiller la vache qui met bat ». Cette psychologue insiste sur la gestion du personnel. Elle reconnait que tous ne sont pas nécessairement aptes à diriger des employés et que bien souvent le mixage avec la famille ne se fait pas dans la dentelle.

Tout devient lourd pour certains
« Les situations conflictuelles se multiplient lorsque vous embauchez des gens de l’extérieur. Il faut une maturité émotionnelle pour gérer tout cela. Souvent le producteur se retrouve seul en raison de cet infernal branle-bas qui s’installe chez-lui. Les divorces sont nombreux et cela vient ajouter au désespoir et à la capitulation totale », fait remarquer la psychologue.

Tout homme qui se respecte a ses ambitions. L’échec est cruel pour tous. Alors chacun tend à conquérir un statut social comme ceux qui réussissent. Parce qu’il faut le dire, plusieurs ont la bosse des affaires et ont la poigne pour gérer des travailleurs. Alors celui qui se réveille un matin et réalise que tous ses efforts et son labeur ne lui permettront pas d’atteindre la notoriété tombe de très haut. La culbute est à ce point douloureuse qu’il choisit sa finalité. Ceux qui font ce triste bilan doivent rapidement comprendre qu’il y a des moyens à leur disposition pour les mener au succès.
• Pierrette Desrosiers a publié en 2011 le livre “Survivre à la réussite“, édité par La Vie Agricole.

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