Yannick Patelli : Vous avez écrit en 2008 dans votre rapport “ Certains changements vont s’imposer d’eux-mêmes, sous les effets de la conjoncture, des nouvelles tendances de consommation et de la concurrence d’autres produits d’ici et d’ailleurs…les changements risquent fort de s’opérer dans le désordre…“`. Croyez-vous que nous en sommes là aujourd’hui ?
Jean Pronovost : On n’est pas dans le désordre encore mais les tendances pointées du doigt lors du rapport sont toujours là ! Pour moi c’est vraiment très clair : les problématiques qui touchent aux quotas, aux accords avec l’OMC, la façon de soutenir financièrement notre agriculture…
YP : Huit ans après, personne dans aucun gouvernement n’a agi en fonction de votre rapport ?
JP : Le rapport devait déboucher sur une politique agricole. On a mis sur la table des voies qui nous semblaient prometteuses. Il n’y a jamais eu de plan d’action sous le gouvernement libéral. Il y a eu un livre vert qui n’était pas une politique agricole. Ensuite le parti québécois est arrivé. Il s’est donné une politique de souveraineté alimentaire qui n’était pas une politique agricole non plus. Toutefois il y a eu des choses de faites. Après mon rapport il y a eu deux rapports très bien faits : Saint-Pierre sur le soutien financier à l’agriculture et le rapport Ouimet sur la protection du territoire agricole. Ça devait donner des résultats mais là encore, il n’y en a pas eu. Il y a eu aussi des changements dans la gouvernance de la Financière agricole, des resserrements à l’ASRA et des gestes ont été posés hors ministère de l’agriculture par des acteurs importants. Pensons par exemple au soutien que la SAQ apporte aux producteurs de vins. Les producteurs de porcs eux-mêmes ont mis en place une convention de mise en marché du porc. Mais on n’a pas encore de véritable politique agricole et si on en reste là, on est pris pour gérer dans la turbulence.
YP : Croyez-vous que le message du ministre Paradis lors de son entrevue avec La Vie Agricole le mois dernier, déclarant qu’il lit votre rapport changera quelque chose ?
JP : Je suis content qu’il le lise. Idéalement le gouvernement devra se donner une politique agricole, préciser les moyens à prendre et identifier les délais pour la mettre en application pour ne pas rester dans une gestion de la turbulence et parce qu’en agriculture les changements prennent nécessairement du temps.
YP : Concernant la gestion de l’offre et la politique des quotas, le sujet revient dans l’actualité avec leur abolition en Europe en 2015 et les questionnements autour de l’entente Canada-Europe. Certains producteurs n’hésitent pas à remettre les quotas en cause, qu’en pensez-vous ?
JP : Les quotas sont là, ils pèsent de tout leur poids. Ça représente un poids financiers considérable et ça représente une bonne partie de la valeur des fermes actuellement. Les quotas ne sont pas illégitimes et je n’oserais pas dire qu’on n’est au bout du système. Nous sommes à une époque où les pays transigent de plus en plus entre eux. Les barrières tarifaires tombent graduellement surtout pour les pays qui ont besoin d’exporter leurs produits agricoles pour maintenir leur agriculture. On produit dans l’ouest beaucoup trop de blé et beaucoup trop de porc dans l’est du Canada. Si on veut vendre ce blé et ce porc, il faut que les pays avec qui on traite puissent nous vendre leurs produits agricoles à de bonnes conditions. Les pratiques canadiennes en matière de gestion de l’offre vont être attaquées par les autres pays c’est certain. Les producteurs pour garder la gestion de l’offre doivent devenir de plus en plus efficaces pour absorber ces compromis que les gouvernements vont tous être tentés de faire. De l’autre côté, c’est de négocier des accords qui délibérément vont protéger certaines productions qui sont au cœur de la vie agricole d’un pays. C’est le cas du lait pour le Québec pour qui c’est le cœur de la production.