Quand la passion fait face aux nouveaux risques en agriculture !

NDLR : La Vie agricole qui depuis six mois vous informe des grands enjeux politiques et économiques dans la production laitière au Québec, au Canada et dans le monde a voulu vous présenter une réalité quotidienne sur une ferme laitière au Québec. Notre journaliste Constance Paradis est allée à la rencontre de Nancy Duchesne à Chicoutimi. Voici un portrait d’une jeune femme à la tête d’une petite ferme familiale face à sa passion, sa vision et ses doutes !

Nancy, la fille d’agriculteur, et Éric, le gars de la ville

Nancy a fait le choix de la ferme dès son jeune âge. Son conjoint Éric a apprivoisé graduellement la vie à la ferme. Nancy Duchesne, comme elle le dit si bien, est « née avec ça dans le sang, dans ses gènes ». En effet dès son jeune âge, soit vers l’âge de sept ans elle aidait déjà à la traite des vaches et, par la suite, à dix ans, elle le faisait entièrement elle-même. Elle participait alors à la ferme pour aider son père Gilles.

Comme le dit sa mère : « Je n’ai jamais été inquiète pour Nancy. Toute petite, en petites culottes, elle disait qu’elle allait pique-niquer avec les vaches. Je savais qu’elle s’en tirerait avec la ferme et qu’elle resterait. Elle avait ça dans le sang. Ça se voyait!  Jeune, même si elle avait des chums, elle était toujours là pour faire la traite très tôt le matin. »

Nancy est en couple, depuis vingt ans, avec Éric Savard. Ils sont maintenant  copropriétaires de la ferme.  Peu avant son décès, le père de Nancy avait déjà commencé à transférer la ferme à Nancy. Comme le dit sa mère : « Gilles aimait beaucoup Éric. Il est débrouillard. Il aime la construction et la machinerie et, comme mon mari, il est très habile et bon dans tout. Je savais que ça allait marcher!  Éric a commencé à venir graduellement à la ferme et il s’est mis à aimer ça. Ça s’est fait naturellement. Ça a coulé entre nous.»

Éric n’est pas un fils de cultivateur. Il a fait des études en informatique et il travaille toujours, à temps plein, chez un bon employeur ; ce qui lui rapporte un bon salaire. Comme le dit Nancy : « Sans le salaire d’Éric ça ne fonctionnerait pas. On en a besoin. Les revenus de la ferme servent à payer les employés et les dettes et il  reste seulement  un peu d’argent à la fin de l’année. Si Éric quittait son travail, on devrait travailler seuls, sept jours sur sept. Les revenus des fermes ont beaucoup baissé depuis trois ans et ça ne semble pas vouloir s’arrêter. »

Nancy, une affaire de passion depuis l’enfance

À la ferme pendant le jour Nancy travaille avec seulement une employée pour la traite. Son père n’est plus là pour l’aider. Il est décédé en 2005. Selon elle : « Il y a de plus en plus de filles qui prennent la relève de la ferme familiale, mais elles ont leur père ou leur conjoint avec elle sur la ferme ». Ce qui n’est pas le cas de Nancy, la passionnée!

Dès qu’Éric termine sa journée de  travail en informatique, il vient prêter main-forte à Nancy sur la ferme. Pour Nancy, les journées de dix heures de travail sont des journées normales. « Pendant les récoltes des foins, on fait de l’ensilage, on travaille très souvent  jusqu’à minuit ou deux heures du matin et le lendemain il faut quand même s’occuper des vaches. Ça ne peut pas attendre! On se lève à 5 heures le lendemain matin. Lorsqu’une vache donne naissance à un veau à minuit le soir, on y va! Ça ne peut pas attendre! On a deux heures au maximum pour donner au veau ce dont il a besoin, sinon il va mourir. »

Comme le dit Nancy : « Éric et moi, on se complète. Ses forces sont : la comptabilité, les réparations, la construction et l’informatique. Moi, mes forces  sont dans la gestion des employés, des champs et du troupeau.  On s’appuie l’un sur l’autre. Éric et moi, on est complémentaires. On est ailleurs deux têtes fortes et peut-être que ça ne fonctionnerait pas autant si on était toujours ensemble toute la journée. Le soir on n’aurait peut-être pas le goût de continuer. Il faut être passionné pour faire ce métier-là.  C’est un métier dur et s’il n’y a pas l’amour des bêtes et la passion; ça ne dure pas longtemps. C’est dur pour la qualité de vie quand tu travailles tout le temps et que tu ne peux jamais t’absenter. On part très rarement! On emmène maman quelquefois en voyage et on ne va pas loin et c’est seulement pour deux jours.  Malgré que tout soit surveillé par caméra il faut souvent revenir rapidement pour  prendre des décisions rapides. La production doit continuer. On a des quotas journaliers à respecter.»

Comme le précise Nancy: « Être producteur ce n’est  pas juste tirer du lait. Moi je me suis spécialisée en génétique. Je tripe sur la conformation animale. J’ai la passion de l’amélioration des animaux, de la plus belle vache, de l’excellence. Je rêve d’arriver à produire la meilleure vache laitière. Je vends de la génétique. Les embryons, ça me fascine! »

Pour  l’amour des animaux : “Nos bêtes, ce sont nos bébés, notre gagne-pain. On en prend soin!“

 Les réseaux sociaux font souvent état de maltraitance animale et comme Nancy nous le dit : « On passe pour des colons!  Nous, on s’occupe de nos bêtes comme on le ferait pour un bébé naissant. Ce sont nos bébés! On les aime! Nos animaux sont précieux. On les traite bien. C’est notre gagne-pain!  Leur régime alimentaire est d’ailleurs équilibré et géré au quart de tour. Chaque vache a un plan établi par un agronome. Si les vaches sont malades ou ont besoin de soin, le vétérinaire les traite tout de suite. Elles n’attendent pas comme nous le faisons pour nous pour avoir des soins.»

«Les consommateurs sont extrêmement exigeants. On travaille tellement pour offrir de bons produits. C’est tellement  lourd! C’est décevant! Les gens sont mal informés. Lorsque l’on garde des vaches en captivité, c’est qu’on a leur  bien-être animal à cœur. Je ne suis pas sûre que les vaches, si on leur en donnait le choix, choisiraient de vivre à l’extérieur. Dans les étables, c’est  ventilé. Elles sont au sec et elles ont de la litière propre. Il n’y a plus de combats de hiérarchie donc plus de blessures dues aux cornes (celles-ci sont brûlées à la naissance. Le tout est fait par un vétérinaire. On les gèle et par la suite elles reçoivent trois jours de calmants. Elles ne souffrent pas.). On travaille fort pour leur donner du confort. Elles nous le rendent bien en nous donnant une production de qualité et c’est plus rentable.»

« Notre ferme n’est pas complètement robotisée. J’aime ça traire les vaches!  Je fais la traite des vaches mécaniquement et ça me prend environ deux heures par jour. J’ai quarante vaches à traire. Un robot, ça coûte cher et ce ne serait pas rentable. »

 «Les vaches, on leur parle, on les flatte. J’ai un contact humain avec elle. On n’est pas industrialisé comme aux États-Unis. On n’a pas des fermes de mille à quatre mille vaches. Nos vaches on les garde longtemps. On les traite bien.  Chez nous, chaque vache a un nom différent et ce sont de beaux noms comme : Henzel, Calimari, etc.  Nos vaches on en prend soin. On les aime! On a beaucoup de paperasses à remplir. On tient des genres de Logbooks de toutes les actions que l’on pose. Tout doit être écrit et précis.»

L’environnement, une priorité pour les agriculteurs aujourd’hui

« Il y a une méconnaissance de l’agriculture. Les gens ne se rendent pas compte à quel point ils sont mal informés. Il y a pourtant des journées de l’UPA où les gens peuvent venir voir ce que c’est le travail d’un producteur laitier. »

« Au niveau de la pollution, on a énormément de normes à respecter. On s’améliore tout le temps; on n’a pas le choix aujourd’hui. Les inspecteurs de l’environnement débarquent d’ailleurs n’importe quand. De nos jours, il se vend  plus d’engrais chimique sur les pelouses et les jardins que pour l’ensemble de toutes les terres agricoles. » de dire Nancy.

Avant, prendre la relève c’était bien différent!

Comme le dit la mère de Nancy : « Moi j’étais fille de cultivateur. La troisième fille d’une famille de dix enfants. J’ai toujours dit que je ne marierais jamais un cultivateur. Je savais ce que c’était  du “gros ouvrage“. On tirait les vaches à la main chez nous.  On était de grosses familles et on vivait très pauvrement. Les gens délaissaient les fermes, les abandonnaient pour aller chercher de l’argent. »

«Au début, mon mari Gilles, qui était fils de cultivateur, travaillait à toutes sortes d’ouvrage de construction et de plomberie, mais en dehors de la ferme familiale.  Il restait encore chez ses parents. Ses frères et sœurs ont ensuite  quitté, tour à tour, pour aller travailler, pour gagner de l’argent. Gilles et moi on s’est marié et Gilles se retrouvait le dernier enfant qui restait sur la ferme. Il a donc cessé de travailler à l’extérieur et il devenu cultivateur. »

«On était mariés. On demeurait chez mes beaux-parents. On avait une chambre, mais pas de salaire. On était logés nourris. Dans ce temps-là les femmes on suivait notre mari. On allait partout. C’était comme ça! On n’avait pas le choix! On endurait et on restait. J’avais vingt ans et j’ai passé plus d’années avec mes beaux-parents qu’avec mes parents, presque quarante ans. Après quand on a eu trois enfants son père lui a vendu la ferme;  qu’il avait lui-même obtenu de son père. C’est comme ça qu’on a pris la relève! « 

«Gilles et moi on a eu cinq enfants qui aimaient tous la ferme. Ils travaillent tous dans d’autres domaines sauf Nancy. Ils n’aimaient pas assez ça pour en prendre la relève, pour en devenir propriétaire.»

Et la relève future?  Y en aura-t-il une?

Nancy et Éric, par manque de temps et de disponibilité, ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants.  Ils n’en sont pas malheureux, car ils considèrent que ce serait trop difficile de travailler autant, avec des enfants. Ils n’ont donc pas de relève. La mère de Nancy (qui n’effectue cependant plus de travaux sur la ferme)  et TiLoup (le labrador de quatre ans) font équipe tous les jours avec Nancy et Éric.

Comme Nancy le dit : «Trouver des employés ou de la relève c’est pas facile. Comme on n’arrive pas à générer assez de gros salaires pour avoir des employés à long terme, ils quittent pour une meilleure paie ailleurs. Ils travaillent pour nous deux ou trois ans et souvent ils abandonnent l’agriculture. On n’arrive pas à trouver des employés qui auraient le goût de continuer, de prendre la relève de la ferme. Des employés qui essaieraient de s’impliquer davantage afin d’apprendre comment gérer la ferme de façon autonome. Ils aiment ça, mais ils n’ont pas le désir ou l’ambition de devenir propriétaires. »

Est-ce qu’on va fermer l’agriculture au Canada ?

À quinze ans, Nancy désirait épauler son père et faire plus de travail à la ferme. Elle a quitté l’école, mais, comme elle le dit : «Ce n’est pas ce que je recommanderais aux jeunes aujourd’hui. Dans ce temps-là, c’était différent!  Il n’y avait pas autant de DEP spécialisés.  Il faut qu’ils soient passionnés!  Il ne faut pas qu’ils comptent leurs heures pour y arriver. C’est plus dur depuis sept à huit ans. C’est une vie extrêmement structurée en raison des normes. Il faut aussi savoir où tu t’en vas, et ça malgré les imprévus.»

«Les normes canadiennes sont extrêmement sévères.  On n’ose pas croire qu’on s’en va dans un mur. Les subventions ce ne serait pas une solution, car ce serait le consommateur qui  les paierait.  On se bat, mais  rien n’avance! Est-ce qu’on va fermer l’agriculture au Canada?  C’est sûr que dans les régions les fermes vont se vider. On ne sait pas où on s’en va en agriculture. Ça devient décourageant! »

Les gens sont mal informés

 «Les gens ne regardent pas d’où viennent les produits. Ils achètent sans regarder les ingrédients contenus dans un produit. Ils ne réalisent pas que la petite vache bleue sur les produits signifie que tous les ingrédients du produit sont canadiens.  L’étiquetage, la vache doit être rendue obligatoire sur tous les produits. Il faut l’obliger! La population devrait nous appuyer. Il faut bien penser que jamais le consommateur ne va payer moins cher  même si des ingrédients sont importés des États-Unis ou ailleurs. Ce sont les transformateurs et les détaillants qui font plus d’argent, pas les producteurs!  Ils vous vendent le produit le même prix même s’ils paient des ingrédients moins chers et vous ne savez pas ce que vous mangez et dans quelles conditions c’est produit. Il n’y a pas de traçabilité quand ça n’est pas de chez nous.»

« Il va falloir que l’UPA et la Fédération fassent de la bonne publicité pour nous. Ça manque! Il faut instruire les gens de la réalité. Nous, on paie 10.000$ par année en publicité et ça ne nous rapporte pas. La publicité devrait être mise à la bonne place! »

 

 

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