Officiellement, on classe les choses ainsi: le syndicalisme est à gauche et le patronat est à droite. Le premier lutte contre les excès du capital et prend la défense des travailleurs, le second milite généralement pour l’ouverture des marchés et veut flexibiliser le plus possible le marché du travail, en limitant l’intervention étatique dans l’économie. Dans notre système médiatique, ce partage des tâches et des visions est généralement admis et ceux qui prétendent parler de politique utilisent aussi ces catégories. Le collectivisme s’opposerait une fois pour toutes à l’individualisme et tel serait le fondement des clivages politiques. En un sens, tout cela est vrai. Mais on peut voir les choses autrement.
Le syndicalisme, aujourd’hui, peut être vu comme une force de résistance à la mondialisation. Malgré ses travers socialisants, qui le poussent trop souvent à s’opposer à toutes les réformes. Il défend non pas le travailleur nomade, mobile partout sur le globe comme le serait un citoyen du monde idéal, soumis aux désirs capricieux du capital, mais le travailleur enraciné dans son pays, qui veut gagner sa vie chez lui en parlant sa langue et qui ne dédaigne pas la part de protection et de stabilité généralement nécessaire pour avoir une vie réussie. Il rappelle l’importance du lieu dans une civilisation qui vante la délocalisation. Le syndicalisme, en quelque sorte, peut être le sable dans l’engrenage de la mondialisation.
On le lui reproche d’ailleurs assez souvent. On accuse le syndicalisme de conservatisme, comme si ce terme pouvait simplement se définir comme le désir de faire obstacle au changement. Mais reste à voir de quels changements on parle. Notre époque a tendance à croire qu’elle doit abattre toutes les barrières et toutes les frontières. C’est le culte maniaque de la déconstruction. Pour affranchir l’individu, elle a tendance à briser la famille, l’école, la communauté, la religion et la nation. En un mot, l’idéologie dominante pousse l’individu à la désaffiliation. Elle prétend l’émanciper de tout. Mais elle le jette en fait dans le vent glacial de la mondialisation, qui le condamne à une névrose culturelle et politique. Le déracinement est le grand mal de notre temps.
Le conservatisme, pour peu qu’on prenne cette philosophie politique au sérieux, est d’abord un appel aux ancrages. L’homme laissé à lui-même est condamné à un mauvais sort. Déraciné, il se dessèche. Et de ce point de vue bien particulier, le syndicalisme, étrangement, aujourd’hui, joue une fonction conservatrice. Il se campe dans le parti de la résistance à la mondialisation. Le syndicalisme agricole défend l’agriculture nationale. Le syndicalisme enseignant défend l’école publique. Le syndicalisme ouvrier défend les conditions de vie des travailleurs du privé alors que la concurrence mondiale pousse leurs conditions à la baisse. En un mot, le syndicalisme défend l’idée d’un monde commun.
Il ne s’agit certainement pas d’idéaliser le syndicalisme ou d’oublier ses tares. Elles sont nombreuses. Mais puisque ces dernières années, on l’a diabolisé, en l’associant à tous les vices, je me suis dit qu’il n’était pas inutile d’en rappeler quelques vertus.