La vente de Saint-Hubert à des intérêts canadiens a provoqué un petit choc dans la société québécoise. L’entreprise représentant peut-être le mieux la convivialité québécoise ne sera plus québécoise. Le patriotisme économique, si une telle notion peut encore être évoquée sans évoquer la moquerie, en a pris pour son rhume: encore une fois, une entreprise québécoise passe dans des mains étrangères. Mais il y avait évidemment quelques voix pour briser le consensus. Évidemment, les idéologues des deux camps, je parle de la droite dure et de la gauche intransigeante, en ont profité pour se moquer du commun des mortels.
D’un côté, les excités de la droite néolibérale, et plus encore, de sa tendance libertarienne, nous ont expliqué qu’on s’inquiétait pour rien. Les entreprises appartiennent à ceux qui les possèdent et la collectivité n’aurait rien à voir avec elles. Le nationalisme économique serait une doctrine spoliatrice ne disant pas son nom et permettant à la majorité de la population de s’approprier un bien ne lui appartenant pas. La vente de Saint-Hubert à une entreprise ontarienne serait un échange parmi les millions qui font au quotidien l’économie de marché. Il faudrait plutôt se réjouir, en fait, que nos entreprises attirent l’étranger. En y voyant une occasion d’affaires, il complimenterait en fait nos entrepreneurs.
De l’autre, une partie de la gauche bon chic bon genre qui rêvasse en plein jour à une société socialiste s’est moquée avec la condescendance qui la caractérise du commun des mortels qui s’inquiétait de la vente d’une entreprise québécoise. Avec le petit rire pincé de ceux qui savent, ils ont tourné en ridicule ce qu’ils ont appelé le nationalisme quartcuisse. Cette gauche y a vu du sentimentalisme mal placé. Et avec ce qu’elle croit être son implacable logique, ses porte-paroles ont lâché leur sentence : si nous acceptons l’économie de marché, nous devons l’accepter implacablement. On a même vu un de ces progressistes confesser son indifférence au lieu du siège social d’une entreprise: ce ne serait qu’un détail dès lors qu’on accepterait le capitalisme.
Chez nos libertariens comme chez nos socialistes, il y avait finalement une grande absente : la nation. Les premiers considèrent que c’est une chimère collectiviste. Les seconds n’y voient qu’une frontière artificielle divisant les hommes entre eux alors qu’ils devraient reconnaître que l’internationale sera le genre humain. L’idée d’un monde commun noué dans l’histoire, d’un peuple qui défend ses intérêts dans un monde imparfait, leur est étrangère. Soit on se soumet à leur logique, ou plus exactement, à leur idéologie, soit on est chassé du grand forum des interlocuteurs raisonnables. Ils sont enfermés dans leur monde parallèle, illuminés par leur seule vérité, et ne tolèrent pas qu’on leur rappelle l’existence d’une chose étrange: la réalité.
Il faut pourtant revenir à nos intuitions premières: il est absolument regrettable que le Québec économique se disloque sous nos yeux. Car à travers cela, ce qui disparaît, c’est un pouvoir québécois confortant l’autonomie économique de notre peuple. Il n’y a que des idéologues enfermés dans leurs théories hermétiques pour croire que ce n’est pas grave.