L’envers du décor

Chut, faut pas le laisser paraître. Forts et unis, dit le slogan et c’est ainsi que bien des producteurs agricoles veulent paraître.  Le stress, la détresse psychologique, on n’en parle pas, c’est pour les mal organisés, les faibles. Les agriculteurs sont fiers, pas de doute, et ils ont raison. Il y a de quoi être fier de nourrir le monde avec toute la complicité que ça amène aujourd’hui. Mais ils sont aussi stressés, déprimés. Ça, ils ne vous le diront pas. Ils sont trop occupés à garder la tête haute. Les plus ouverts laisseront sous-entendre que la pression monte!

Mais qu’en est-il réellement? Le moral de beaucoup, beaucoup d’agriculteurs est-il vraiment  à terre? Difficile de tracer un portrait réaliste. Chez les producteurs laitiers, les uns avancent que 200 d’entre eux ont lâchés prise depuis janvier 2016.  Les causes sont répétées ad nauseam, sans égard à l’impact de cette rengaine : la crise du lait diafiltré fait perdre des milliers de dollars par mois. Pour les plus endettés, avec les marges de crédit bancaires accotées, c’est souvent la perte des revenus qui permettaient de payer un employé.  Puis la maudite paperasse qui ne cesse de s’accumuler, avec les normes de-ci et de-çà qui changent tout le temps.

Puis, des observateurs du milieu annoncent qu’une autre crise pointe à l’horizon. Celle des pomiculteurs aux prises avec l’épidémie de brûlure bactérienne dans les vergers, difficilement contrôlée cette année.  C’est au printemps prochain qu’ils prendront toute l’ampleur des arbres perdus.    Eux aussi inscriront en milliers de dollars les pertes financières.

Un producteur de Baie Saint-Paul me disait en juillet qu’il est sur un sprint de 180 jours sans arrêt, à 14 h par jour. Passé l’âge de 50 ans, ça commence à devenir lourd. Puis, les jeunes veulent une vie, en dehors de la ferme. C’est ainsi maintenant : travailler sept jours sur sept, 365 jours par année comme les parents, c’est d’une autre époque.

Qui va oser parler des crises de couple qui s’en suivent ? Et de la violence, balayée sous le tapis. Chut, faut pas le laisser paraître.

C’est çà l’envers du décor des crises politiques et économiques en agriculture.

Le problème n’est pas d’hier. En novembre 2011, une étude lancée par l’organisme Au Cœur des Familles agricoles, portant sur le comportement des familles agricoles à l’égard de la gestion du stress et de la recherche d’aide, démontrait que le stress et la détresse psychologique se gèrent en famille.  Les résultats étaient choquants : sept agriculteurs sur dix ne voulaient pas que leurs problèmes de stress soient connus.

Une autre étude vieille de 30 ans affirmait que le taux de suicide chez les agriculteurs est généralement supérieur à la population en général. La psychologue Ginette Lafleur tente toujours de tracer les lignes directrices de la réalité québécoise en 2016.

Tabou. C’est un gros tabou. Tous ceux et celles à qui j’en ai parlé le reconnaissent.

Et si le banquier, l’agronome, le vendeur de grains à la meunerie, le gestionnaire comptable, le contrôleur laitier le constatent, ils ne se sentent pas outillés pour aider. 

Faut regarder la situation en face. La santé psychologique des agriculteurs, c’est aussi d’actualité. Dans la prochaine chronique, je parlerai ce qui est fait, ou plutôt, peu fait pour leur venir en aide, pour briser le tabou.

 

 

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