Il y aura donc un Institut Jean-Garon qui consacrera ses travaux aux enjeux agro-alimentaires de la société québécoise. J’ai le grand bonheur d’y être associé. Un grand bonheur, dis-je, car c’en est un que d’être associé à une figure aussi singulière de Jean Garon. Pour les Québécois qui ont un peu de mémoire et qui connaissent l’histoire du dernier demi-siècle, Jean Garon a été et sera pour toujours l’indélogeable ministre de l’agriculture de René Lévesque. Alors qu’on associait le Parti Québécois de cette époque à une jeune bourgeoisie intellectuelle faite de technocrates et de professeurs, Jean Garon en représentait l’autre visage : celui du Québec des régions, du Québec rural. De l’ancien Québec, autrement dit, qui s’était rallié à la Révolution tranquille parce qu’elle promettait aux Québécois d’être maîtres chez eux et d’avoir enfin un pays. Jean Garon était souverainiste d’abord et avant tout parce que c’était un nationaliste québécois. Sa présence manque aujourd’hui, dans un monde écrasé par la rectitude politique.
C’était une image, à bien des égards, car notre homme était bardé de diplômes. Il avait une grande formation académique. En d’autres mots, Jean Garon n’était pas un rustre paysan, comme le laissaient croire ses caricaturistes. Mais pourtant, l’image n’était pas trompeuse. Car Jean Garon était un homme enraciné. Pour lui, le pays n’était pas une construction artificielle ou idéologique. C’était un pays réel, fait d’hommes et de femmes, un pays avec ses traditions, ses coutumes, ses odeurs et ses saveurs. Un pays à occuper, qu’il fallait habiter de toutes les manières possibles. On le sait, Jean Garon a défendu la ferme familiale. Je crois comprendre qu’elle représentait pour lui ce qu’on pourrait appeler l’agriculture à visage humain. Elle devait être préservée. Il avait évidemment raison. Il avait compris, je crois, que la terre n’est pas qu’une ressource exploitable que devraient s’approprier de grands industriels anonymes et apatrides, récitant pieusement le chapelet de la mondialisation.
On me pardonnera de me faire philosophe pour un instant, mais la figure du paysan est inscrite dans les profondeurs de l’histoire humaine. Si le citadin est celui qui est ouvert aux modes d’une époque, à ses nouveautés et ses promesses, le paysan est celui qui est attaché à un coin du monde depuis plusieurs générations et qui veut y demeurer attaché. Il entretient un rapport fécond avec la terre, avec la nature, même. Vision bucolique? Pas vraiment. Car même s’il est évidemment à tous les apports de la modernité technologique, il n’en demeure pas moins que ce qui le caractérise, c’est d’être attaché à un lieu. Il ne peut pas changer de terre au gré de ses désirs et de ses humeurs. Il est responsable d’un petit coin du monde et a la tâche de le faire prospérer pour longtemps. C’est un peu le gardien du monde. On l’accuse souvent pour cela de conservatisme borné. C’est une sottise. Car un monde sans racines ne serait plus un monde. Tout comme un monde sans traditions serait soumis à la tyrannie du présent. Au fond de lui-même, je suis persuadé que Jean Garon savait cela.