Le 13 avril 2015, quelques jours après les journées de Commission parlementaire sur l’accaparement des terres, nous rencontrions Françoise David, critique en matière agricole pour Québec Solidaire. En ce jour du 19 janvier 2017, où elle quitte la politique québécoise, il est très intéressant de relire et réécouter ce qu'elle disait alors avec beaucoup de franchise et de simplicité, des valeurs qui ont fait sa marque en politique. Le rencontre se tenait alors dans son bureau de l’assemblée nationale. Nous avons pu échanger avec une femme sincère qui croit à la diversité agricole et au pluralisme syndical. Elle aborde tous les sujets avec sérénité, portant des arguments forts et simples à la fois. Relisez-là, réécoutez-là ( pour la portion vidéo) sur tous les sujets abordés: Accaparement des terres, CPTAQ, relève, gestion de l'offre, syndicalisme etc.
Yannick Patelli : Quelle est votre perception de la Commission sur l’accaparement des terres ?
Françoise David : “J’ai été frappée par le témoignage des jeunes d’Abitibi, du lac Saint-Jean et du Bas-du-Fleuve. J’ai été touchée par leur cri du cœur. Il faut avoir conscience de l’impact du rôle des compagnies d’investissement sur les jeunes agriculteurs. Pangea est loin d’être le pire spéculateur mais cela pose la question de la provenance des intrants et du rôle décisionnaire de l’agriculteur dans un tel modèle. L’agriculteur doit rester maitre. Nous sommes donc favorables à un organisme public de type SADAQ. Et si les jeunes ne sont pas acheteurs ils seront locataires. Des modèles nouveaux, type coop, pourraient aussi être regardés. Il peut y avoir d’autres modèles que la propriété. Ce qui est important c’est aussi la diversité de l’agriculture. Un modèle idéal c’est une famille agricole impliquée dans son village. Tant mieux si certains gros agriculteurs se développent mais il faut de la place pour tous“.
YP : Que pensez-vous de la motion de la CAQ soutenue par les libéraux, pour réentendre la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) ?
FD : “Si l’objectif est de donner du pouvoir aux MRC, c’est non. Je fais souvent la 20 et la 40 et je suis sidérée de voir que malgré la loi de protection du zonage agricole, la quantité de terres dézonées. Je suis plutôt en faveur d’un renforcement des pouvoirs de la CPTAQ.“
YP : Quand Amir Khadir dit à Pangea, avez-vous un siège social dans un paradis fiscal, craignez-vous cela aussi ?
FD : “L’idée n’est pas de démoniser Pangea mais on peut s’interroger avec les milliards qui circulent dans les paradis fiscaux si des entreprises québécoises n’y ont pas de siège sociaux. C’est en ce sens qu’Amir Khadir est intervenu. Nous avons déjà évoqué dans d’autres dossiers, le Delaware et dans quelques années, il sera prouvé que c’est un paradis fiscal pour certaines entreprises d’ici.“
YP : Les libéraux ont parlé d’autres problèmes que l’accaparement dans la problématique de la relève : les terres en friche et les quotas, ça vous dit quoi ?
FD : “S’il y a autant de terres en friche, il faut savoir pourquoi elles ne sont pas cultivées. Est-ce pour les vendre et ensuite obtenir un dézonage ? Moi, je suis en faveur que les terres agricoles soient cultivées.“
YP : Dans les grands enjeux, un de taille qui fait la richesse de l’agriculture québécoise, la gestion de l’offre. Doit-on la sauver (et peut-on la sauver) dans le cadre de l’entente de libre-échange Canada-Europe ?
FD : “Je l’espère. Harper dit qu’il n’y a pas de danger pour la gestion de l’offre. Faut-il le croire ? Si on va vers le libre-échange, on va rentrer du lait à pleine porte des USA et le consommateur va l’acheter car il sera moins cher. Chaque fois qu’un agriculteur est en concurrence avec l’étranger c’est une perte pour le Québec. Je pense qu’un Québec souverain serait plus apte à mener une souveraineté et une autosuffisance alimentaire. Le libre-échange Canada-Europe sera avantageux pour le bœuf canadien mais pas pour les fromagers du Québec et les charcutiers du Québec.“
YP : Yan Turmine, l’un de nos chroniqueurs évoque la distribution du quota gratuit à la jeune relève et la création demain matin de 125 fermes de 50 vaches sans nouvel argent de l’État, ça vous inspire quoi et pensez-vous pouvoir faire avancer cette idée ?
FD : “Je ne peux répondre à cela tout de suite car je n’ai pas encore lu le propos mais sur le principe je ne ferme pas la porte“.
YP : Avez-vous des agriculteurs qui militent à Québec Solidaire et dans quel domaine agricole opèrent-ils ?
FD : “On a des producteurs de tous les domaines, que ce soit dans les petits fruits comme dans les grandes cultures et dans le lait.“
YP : Que pensez-vous du retour de Pronovost et du principe du monopole syndical ?
FD : “J’en suis très contente car nous étions en accord avec son rapport de 2008. C’est écrit dans notre programme, on est en faveur de la fin du monopole syndical. Car c’est comme ça dans les autres secteurs. Dans le monde syndical, il n’y a pas de monopole. Dans tous les corps de travail dans la société, on a des gens syndiqués CSN, FTQ,CSQ… Pourquoi les agriculteurs devraient être les seuls qui n’auraient pas le choix ? Et si l’UPA est forte, elle ne doit pas avoir peur de la concurrence. Si ce qu’elle dit est bon pour les agriculteurs, ils suivront L’UPA. Il ne peut pas y avoir quelques délégués syndicaux qui décident pour le grand nombre de producteurs, ce qui est bon pour eux, franchement ! Par ailleurs, qui nous dit que deux syndicats ne pourraient pas faire front commun sur certains dossiers lorsqu’il y aura le pluralisme syndical. Moi je dis à l’UPA, faites-vous confiance ! Comment se fait-il que dans notre société on en soit encore à se poser cette question sur le monopole ? Si le parti libéral va dans le sens du pluralisme syndical pour une rare fois, oui, on l’appuierait.“