Régions, gestion de l’offre, pesticides, bio, gestion syndicale, taxes agricoles, Levinoff-Colbex: tout est abordé avec Carlos Leitao !

Yannick Patelli : Vous avez présenté un budget avec un accent régional, est-ce une façon de reprendre du terrain avec le FARR ( Fonds d’appui au rayonnement des régions) après des coupures de structures en région il y a quelques années ?

Carlos Leitao : «Non, je ne pense pas. Ce que nous avons fait de 2014 -2015 quand on a revu les structures des CRE* et CLD**, c’était parce qu’on avait besoin de mettre en place une nouvelle façon d’aborder la question du développement économique régional. Oui, on a changé ces structures-là, mais on avait toujours dit qu’on voulait maintenir les fonds en tant que tels et améliorer la participation des acteurs locaux dans le processus de décision. Maintenant avec le FARR, on est dans une meilleure position pour faire ça. C’est 300 millions pour les régions, ce n’est pas rien. Ce sont les MRC et les acteurs locaux qui vont faire la sélection des projets. Du point de vue du développement régional, c’est plus prometteur!»

 

YP : Plus de pouvoir pour les régions par loi 122 c’est bien, mais certains craignent que cela affaiblisse la CPTAQ. Y a-t-il un risque pour le zonage agricole ?

CL: « Je pense pas. Oui, j’ai entendu ces arguments-là. Je pense que mon collègue Martin Coiteux, le ministre des Affaires municipales s’est déjà exprimé là-dessus. Nous ne pensons pas que ce soit un grand risque. En effet pour ce qui est du budget que nous mentionnons concernant la taxation des terres en friche, on essaye de faire certains changements parce qu’on est en pleine zone métropolitaine urbaine. Ça se restreint au territoire de la Communauté métropolitaine urbaine. Ça concerne le REM (Réseau électrique métropolitain), mais aussi pour des projets futurs de développement résidentiels ou quoi que ce soit. S’il y a des terres agricoles en friche utilisées pour cela, elles doivent être compensées par des terres agricoles ailleurs.»

YP : Les régions sont riches de leurs producteurs sous gestion de l’offre, souhaitez-vous et pensez-vous que dans un monde actuel de libéralisation des marchés que la gestion de l’offre se maintiendra ou que les producteurs devront vivre avec le changement ?

CL : « Notre point de vue en tant que gouvernement c’est que nous n’avons aucune intention de changer quoi que ce soit à la gestion de l’offre. Nous allons continuer de militer pour que ce système soit maintenu. On comprend très bien que le socle de la gestion de l’offre, l’élément clef, c’est vraiment le contrôle aux frontières et les tarifs extrêmement élevés qu’on met à l’importation donc ça rend le système vulnérable à une éventuelle renégociation d’accord de commerce international. Jusqu’à maintenant le Canada a toujours réussi à obtenir l’exemption.»

YP :  Plusieurs producteurs de lait sont craintifs de voir s’échanger des conditions du secteur du lait au profit du secteur du bois d’œuvre ? Que leur dites-vous ?

CL : « Ce sont des choses qu’on entend, mais notre position au gouvernement c’est que ce ne sera jamais comme ça. On ne cautionnera jamais un tel échange.»

YP : Votre politique bioalimentaire fera de la place à l’agriculture de proximité. Cela semble une bonne nouvelle pour certains groupes. Votre gouvernement ira-t-il jusqu’à reconnaître l’union paysanne comme syndicat officiel ?

CL : « C’est une très bonne question. Je pense que la personne qui devrait se prononcer sur cela c’est le ministre de l’Agriculture. C’est un dossier qui doit être porté par le ministre de l’Agriculture.»

YP : Selon leur communiqué émis après le dévoilement de votre budget, Les producteurs de grains du Québec ne semblent pas vraiment apprécier celui-ci, ils disent: «Les Producteurs de grains du Québec soulignent en particulier les mesures destinées à complexifier de façon radicale l'usage réglementé des pesticides dans le secteur de la production de grains, alors qu'aucune mesure de compensation adéquate n'est avancée dans le budget pour en limiter les impacts financiers pour les producteurs.» Que leur répondez-vous ?

CL : « Ça me surprend un peu parce que ce qu’on fait c’est une mesure de nature environnementale. C’est quand même 14 millions de dollars sur cinq ans pour limiter ou réduire les risques associés à l’utilisation des pesticides. Ce programme c’est pour appuyer les producteurs agricoles parce qu’il  y a de nouvelles règles environnementales et elles sont nécessaires, alors dans notre budget on a mis en place un programme pour aider l’industrie à s’adapter. Il faut aller de l’avant. Je pense qu’on peut discuter pour savoir si 14 millions c’est suffisant ou pas, mais nous avons jugé que dans l’état actuel des finances publiques que 14 millions c’est raisonnable.»

YP : Avec Pierre Paradis vous vouliez une réforme sur le remboursement des taxes. Avec Lessard la réforme a été suspendue. Le retour à l’ancien programme fait en sorte que la responsabilité de celui-ci est retransférée au MAPAQ à nouveau. Le rapport Godbout démontre que rien n’est réglé. Que fera le gouvernement sur la fiscalité agricole au cours des prochaines années ?

CL : « En effet, c’est une grande question et qui n’est pas d’aujourd’hui. C’est une question qui plane depuis un certain temps. Nous, le ministère des Finances, en collaboration avec le MAPAQ, l’année passée, on avait proposé cette réforme qui allait surtout dans la direction de simplifier le régime actuel de taxation foncière agricole. Cette réforme a été contestée par le milieu et le ministre Lessard a décidé de l’annuler. Pour nous le travail a été fait. Une nouvelle réforme devra maintenant être proposée par le ministère de l’Agriculture.»

YP : Était-ce une intention de réforme qui venait du ministère des Finances ou du MAPAQ ?

CL : «Ça venait des deux. On s’était mis d’accord qu’il y aurait deux étapes. La première étape c’était ce que nous avions fait, de simplifier, parce que c’était compliqué. Et là, on revient au programme initial donc ça demeure très compliqué. Rien n’a été réglé ! C’est cher à administrer pour nous,  et pour les agriculteurs, et pour les municipalités. On avait donc proposé cette solution-là qui a été très contestée par le milieu. La deuxième étape il faudra revoir avec les municipalités et le milieu agricole comment on pourra arriver à une véritable réforme de la taxation agricole et municipale. Là, on revient à la case départ.»

YP : Il faut donc s’attendre à de nouvelles négociations ?

CL : « Et là, ce dossier sera mené par le ministère de l’Agriculture.»

YP : Sans réforme ce programme est un puits sans fond avec la valeur des terres qui continue d’augmenter, comment sortir de cette impasse ?

CL : « Nous, aux finances c’est plafonné !»

YP : La loi sur le remboursement des taxes agricoles prévoit effectivement une augmentation maximale du programme de 5 %, mais cette année dans le budget dévoilé, c’est 18 %. Si le 18 % est attribuable aux perdants suite à l’abandon de l’ancien programme, ces perdants seront-ils compensés les années subséquentes aussi ?

CL : « Bonne question à laquelle il n’y a pas de réponse définitive. Pour cette année oui, on s’est engagé à le faire donc on va le faire, mais les années subséquentes ça va être discuté entre le ministère de l’Agriculture et le Trésor.»

YP : Il y aura donc des négociations enclenchées dans les prochains mois ?

CL : « Oui, mais encore là ce seront des dossiers qui seront menés par le ministère de l’Agriculture. »

YP : Dans le dossier de l’abattoir Levinoff-Colbex, le gouvernement a encore un prêt via Investissement-Québec auprès de la fédération des producteurs de bovins. Prêt initialement de 19 millions de dollars. Quand les Québécois reverront-ils leur argent d’un projet qui a fait faillite depuis longtemps et est-ce que la Fédération des producteurs de bovins devra rembourser l’emprunt ?

CL : « C’est une bonne question encore à laquelle moi je n’ai pas de réponse. C’est à Investissement-Québec de dire comment ils vont traiter leur créance.»

YP : Le système financier agricole fait en sorte que tous les montants d’argent liés aux prélevés sur les productions atterrit dans les coffres des fédérations et sont concentrés au final auprès du seul syndicat agricole, L’UPA. C’est beaucoup d’argent : Quelqu’un au gouvernement sait-il le montant total des prélevés ?

CL : « Quelqu’un doit le savoir je présume parce qu’encore une fois on n’a pas le contrôle de ces dossiers-là. C’est quelque chose que la Financière agricole devrait avoir. Mais la Financière agricole ne relève pas de nous aux finances. Je ne peux pas aller plus loin que cela, mais cette information doit exister. »

YP:Sur la valeur totale des prélevés, ni M.Paradis, ni M.Couillard, ni M. Lessard n’ont trouvé la réponse à ce jour. Est-ce que le système syndical agricole est si fermé que cela, au point qu’on ne peut  rien savoir?

CL : « C’est une question à laquelle je n’ai vraiment pas la réponse. Le ministère de l’Agriculture et la Financière agricole qui relève du ministère de l’Agriculture a ce genre d’information. Nous ne l’avons pas. Je ne suis pas du tout au courant.»

YP : Quand Pierre Moreau disait lors du huis clos sur le budget, “Le rapport Robillard n’est pas mort“, à quoi doit-on s’attendre ?

CL : « En effet le rapport Robillard avait émis un certain nombre de recommandations qui ont abouti sur la création de la Commission permanente de révision des programmes. Ça existe maintenant cette commission-là au Conseil du trésor. Cette commission est au travail. Il y a un certain nombre de mandats qui ont été donnés dans différents ministères. Nous dans notre cas au ministère des Finances, le dossier qui nous concerne c’est  la Société des alcools du Québec (SAQ). Ces questions vont être examinées. En ce qui concerne spécifiquement le programme de soutien à l’agriculture pour l’instant ça ne fait pas partie des  mandats d’examen qui ont été accordés à la Commission, mais éventuellement ça devrait être revu. Pour les 18 prochains mois, il y a rien à ce sujet-là.»

YP : Par contre concernant  la SAQ, il y a une discussion sur l’avenir du monopole ?

CL : « Ce qu’on peut dire c’est, pas question de privatiser un monopole, mais nous sommes intéressés à améliorer la performance financière de la SAQ dans l’intérêt des consommateurs. Si cela passe par une plus grande ouverture du marché et ouvrir ce monopole, ça peut passer par ça aussi. Il n’y a pas d’idée préconçue. La seule idée qui est claire c’est qu’on ne privatisera jamais un monopole. »

YP : Au niveau de la SAQ, les visées que vous avez pour elle permettront-elles une plus grande place aux vins du Québec et une plus grande place pour  le terroir?

CL : « Oui, il y a deux choses : avec le projet de loi 88 où on a donné accès au réseau des épiceries et supermarchés pour les produits artisanaux, ça c’est déjà en cours. Et de l’autre côté, on a continué le programme d’aide aux producteurs de vins artisanaux et ce programme-là est  maintenant géré ici aux finances aussi étrange que cela puisse paraître.»

YP : Ce programme était géré au MAPAQ avant ?

CL : « Maintenant ça se fait ici. Nous gérons ce programme-là. Nous continuons de supporter le secteur artisanal. Pourquoi nous ? Parce que c’était approprié de le faire. C’est aussi le ministère des Finances qui est responsable de la SAQ.  Et  la SAQ a un rôle à jouer dans ce processus-là pour continuer de promouvoir les produits locaux dans son réseau de distribution. Donc les producteurs artisanaux ont maintenant la possibilité de vendre leurs produits soit dans le réseau des épiceries et supermarchés soit  dans la SAQ qui leur réserve une bonne partie de visibilité et de promotion.»

YP : Pourquoi des programmes gérés par le MAPAQ sortent du MAPAQ pour aller dans d’autres ministères ?

CL : «Ça s’explique. Dans le programme d’aide aux producteurs locaux, il y a une certaine vertu à arrimer ça avec les politiques de la SAQ donc de le garder ici. L’autre, pour la réforme fiscale c’était dans le souci de simplifier le système de l’envoyer directement à l’agence du revenu. Parce que plutôt que d’avoir une espèce d’administration bicéphale à trois têtes, on est mieux de laisser le revenu s’occuper de cela. Ils ont l’expertise et les moyens de le faire. Ça simplifierait la vie à tout le monde. Là, cette fois ça n’a pas marché.»

YP : Mais on peut s’attendre donc que dans les négociations des prochains mois ça puisse retourner au revenu ?

CL : « Moi, je pense que oui. C’était logique ce que nous avions proposé dans le budget de mars dernier. C’était très logique de centraliser tout ça à l’agence du revenu. Je demeure convaincu que c’est toujours logique de le faire.»

Lorsque nous quittions son bureau, M.Leitao nous a précisé qu’il échangera dans les prochains jours avec ses collègues du gouvernement pour en savoir plus sur la situation financière concernant les prélevés des productions agricoles et leur gestion.

*CRE : Conférence régionale des élus

**CLD : Centre local de développement

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