Après les Banques, les Fonds d'investissement, Pangea, la Caisse de dépôt, le Fonds de solidarité de la FTQ, c'est maintenant le Fondaction de la CSN qui veut venir au secours de ces pauvres petits agriculteurs qui n'arrivent plus à vivre de leur ferme. Dans tous les cas, avec des modalités différentes, on leur propose de confier leur ferme à des sociétés d'exploitation et de continuer à y travailler à forfait ou comme métayer. Et bien sûr, pour rentabiliser ces sociétés d'exploitation, on choisit de privilégier les cultures céréalières qui sont prisées sur les marchés d'exportation, comme telles ou comme aliments des porcs qu'on exporte à 70%. Comme par hasard, ces cultures sont aussi les plus dommageables pour nos sols et notre environnement, parce qu'elles ne permettent pas une véritable rotation des cultures et qu'elles utilisent massivement les engrais chimiques, les OGM-ready-round-up et plein d'autres pesticides toxiques. Inutile de dire que ce n'est pas avec ça qu'on va nourrir le Québec. On peut facilement imaginer vers quoi se dirige notre agriculture.
Les mauvaises raisons et les mauvaises solutions
Comme il arrive souvent, les opposants -l'UPA en tête- s'y opposent pour les mauvaises raisons et proposent des solutions qui n'en sont point : « c'est la fin de la ferme familiale indépendante», « ça réduit les agriculteurs au statut de salariés et même de serfs comme au Moyen-Âge », « ça fait monter le prix des terres », « ça coupe l'herbe sous les pieds de la relève », « c'est la financiarisation de l'agriculture», « Sirois est un escroc », « il faut une loi pour limiter provisoirement les achats de terre à 100 hectares par année pour un acheteur ». etc.
Bien sûr, dans les conditions actuelles, il y a du vrai dans toutes ces protestations: oui la ferme familiale se meurt, oui la relève n'arrive plus à s'établir, oui les terres sont trop chères, oui seuls les gros ont des chances de survivre, oui les terres vont devenir une valeur-refuge quand on sait qu'il faudra augmenter de 70% la production de nourriture d'ici 2050 pour nourrir 10 milliards d'habitants de plus en plus exigeants et déracinés. Et c'est justement ça le vrai problème: les agriculteurs indépendants n'arrivent plus à vivre de leur ferme. C'est elle la raison pour laquelle ces sociétés d'exploitation trouvent preneur. L'UPA le sait très bien puisqu'elle se prête elle-même à ce jeu-là depuis fort longtemps en favorisant les contrats d'intégration et les paiements de l'ASRA aux intégrateurs parce que les producteurs indépendants n'y arrivent plus.
Le vrai problème
Le vrai problème, c'est l'absence totale d'une politique agricole qui permette à des petits producteurs diversifiés, indépendants, écologiques, axés sur l'autosuffisance alimentaire plutôt que sur les grands marchés d'exportation, de vivre décemment et fièrement, partout sur le territoire. Le vrai problème, c'est que le gouvernement n'a pas la force d'imposer une telle politique, d'abord parce que, on s'en souvient, « tous les Monsanto de ce monde sont bien plus puissants que le gouvernement » (Paradis), ensuite, parce que l'UPA, dont les publications sont remplies de pleines pages de publicité payée par ces Monsanto de ce monde, refuse systématiquement une telle politique et protège les gros producteurs qui la font vivre, en un mot, parce qu'on ne peut rien contre les lois du marché et la concentration.
La voie était tracée dans le rapport de la Commission Pronovost : remplacer le soutien actuel aux agriculteurs, basé sur les coûts et volumes de production, par un soutien de base universel établi en fonction du revenu de la ferme, et un soutien conditionnel à la situation géographique et aux pratiques écologiques, biologiques et multifonctionnelles de la ferme. Un changement total de cap. Mais le gouvernement a cédé devant l'UPA, les intégrateurs et les multinationales agricoles. Les deux milliards de fonds publics versés annuellement par les deux niveaux de gouvernement à l'agriculture continuent à être dirigés essentiellement vers les gros producteurs d'exportation et les parvenus de la gestion de l'offre. Faut-il se surprendre que les fermes indépendantes et nourricières tombent comme des mouches et soient prêts à vendre ou confier leur ferme au premier voleur de grands chemins prêt à payer le prix.
La solution passe par une politique agricole cohérente
C'est à l'État qu'il revient de venir au secours des petits agriculteurs nourriciers et s'il ne le fait pas, les banquiers ne tardent pas à le faire, comme on constate. En 1999, l'État Suisse, suite à un référendum d'initiative populaire, a introduit dans sa constitution l'article 104 qui définit son choix clair en faveur d'une agriculture multifonctionnelle, territoriale et durable et exige que les fonds publics alloués à l'agriculture lui permettent de répondre à ces multiples fonctions : paiements directs conditionnels au respect de l'environnement et des animaux, contrôle des pesticides, consolidation de la propriété foncière rurale, etc. Les résultats ne se sont pas fait attendre : la Suisse est en avance dans la production biologique et l'agriculture durable. Le soutien public et la collaboration entre les producteurs bio et les grandes chaînes de distribution ont permis un développement rapide de la production et de la consommation des produits biologiques. La petite agriculture territoriale fleurit jusque dans les zones montagneuses. Les paysages sont à couper le souffle. Les produits du terroir sont mis en valeur partout. La santé et la forme physique des habitants sautent aux yeux.
Ici, le bio n'atteint pas 2% du marché. Les grandes chaînes de distribution font la loi. Notre taux d'autosuffisance alimentaire dépasse à peine 30%. Le round-up et l'atrazine remplissent les cours d'eau. L'agriculture en région périphérique décline. Le fast-food balaie tout. L'obésité, le diabète, le cancer et les enfants dysfonctionnels ne cessent d'augmenter.