L’un des traits les plus marquants de la psychologie politique québécoise, c’est le sentiment d’être à l’abri du tumulte du monde. Non pas que les Québécois s’en fichent, bien qu’on pourrait le croire, si on pense à la part réduite des actualités internationales dans notre paysage médiatique. Mais ils entretiennent un rapport un peu léger avec lui, comme si on pouvait s’y projeter seulement sur la base de bons sentiments. On distingue dans le monde des bons et des méchants. C’est un point de vue strictement moral et humanitaire. Un point de vue immature.
Mais on exprime plus difficilement nos propres intérêts. Ce n’est pas surprenant quand on y pense: telle est la vie provinciale. Ce sont les nations indépendantes qui habitent le monde, qui nouent des alliances, qui doivent négocier avec d’autres nations, chacune consciente de ses intérêts. Les provinces, elles, se contentent de subir ce que les pouvoirs qui les surplombent ont décidé pour elles. On ne l’a jamais vraiment compris, mais s’il y a un prix à payer pour l’indépendance, il y a un prix encore plus grand à payer pour ne pas la faire et rester sous une tutelle étrangère.
Long préambule pour parler d’une chose toute simple: Trump et le Québec. Non pas que le premier se passionne pour le second. On devine que le président américain peut situer notre pays sur une carte, mais on peut être à peu près certain qu’il n’y connaît pas grand-chose. Mais la présidence américaine ne sera pas sans effets sur nos intérêts économiques, principalement sur le plan de l’agriculture. Je résume d’un mot: la politique commerciale des États-Unis sous Trump, qui s’éloigne de la philosophie libre-échangiste qui s’est imposée en Amérique du nord au fil des décennies, nous place dans une situation impossible. L’économie québécoise se projette en bonne partie dans l’économie américaine: elle pourrait maintenant y rencontrer un mur.
On le sait, par protectionnisme, Trump a pensé en finir avec l’ALÉNA. Certains s’en réjouiront peut-être, au nom de cette variété très particulière de nationalisme qui veut marquer la rupture la plus claire possible avec la mondialisation. J’écris «très particulière». Je pourrais écrire: fantasmée. Car c’est justement au nom de nos intérêts nationaux que nous avons fait le choix du libre-échange à la fin des années 1980: il fallait se dégager de l’espace économique canadien et avoir accès à un grand marché. Jacques Parizeau et Bernard Landry avaient théorisé la chose: le libre-échange en Amérique du Nord allait aider la souveraineté du Québec. C’était un moment important de notre histoire: à ce moment, nous étions capables d’avoir une réflexion sur nos intérêts nationaux en termes réalistes, loin des doctrines moralisatrices.
Retour à notre présent: il nous faudra faire preuve du même réalisme. Devant la présidence Trump et ce qu’elle annonce pour notre époque, il faudrait que nous rebâtissions une vision québécoise des relations internationales et une politique pour encaisser les coups qui viendront. Les différents secteurs de notre société en auront besoin. Le milieu agricole aussi.