Dans nos belles maisons…

De temps en temps, on entend les urbains dirent qu’ils en ont marre de l’être. C’est presque cyclique, comme si l’homme des grandes villes, tôt ou tard, finissait par ne plus se sentir chez lui dans sa métropole et espérait désormais une vie plus simple, et peut-être, tout simplement, une vie moins chère. Il veut en finir avec Montréal. Alors il se met à rêver d’une grande maison, d’un terrain, de convivialité et de barbecue. Il pense alors à s’installer en banlieue, comme s’il s’agissait de la première étape pour sortir de la ville. 

Mais pour plusieurs, c’est un piège, parce que la banlieue, quoi qu’on en dise, est généralement un dortoir. Je dis cela sans le moindre mépris. Je viens de la rive-nord de Montréal et c’est encore là, dans mon esprit, où j’ai mon chez-moi, même si cela fait plus de dix ans que je suis bien installé sur l’île. Mais l’homme de la banlieue, à moins de travailler près de chez lui, est obligé, chaque matin, de se soumettre à la plus pénible des obligations: franchir les ponts. Il doit ensuite les franchir à nouveau le soir pour dormir chez lui. Une partie importante de sa vie se passe ainsi dans sa voiture, à maudire le temps qu’il y perd.

Comment ne pas voir que ce mode de vie ne tient pas et qu’il engendre une aliénation de plus en plus palpable dans les rapports sociaux? On sous-estime probablement les conséquences politiques et idéologiques de cette vie prisonnière d’un modèle social désorganisé. Mais c’est néanmoins, pour le plus grand nombre, le prix à payer pour demeurer proche de la grande ville, où on a tendance à ne plus retrouver que les très riches, la bourgeoisie culturelle, qui boboïse un après l’autre les quartiers populaires, et les pauvres, qui sont condamnés à la précarité. L’étalement urbain est une vraie plaie de notre civilisation.

Surgit alors une autre idée dans la tête de l’homme qui n’en peut plus: il se met à rêver à ce qu’on pourrait appeler une petite ville, où il pourrait simplement vivre, loin de la métropole, loin d’une vie qui épuise et qui rend fou, sans pour autant céder à l’illusion bucolique du repli rural. Il ne veut cultiver des concombres et des radis, il veut simplement une ville à taille humaine. C’est l’obsession d’un certain conservatisme: retrouver un monde qui ne soit plus celui de la démesure. Un monde qui n’a pas l’air d’une fourmilière. Un monde qui retrouverait le sens des limites, aussi, et qui redonnerait à l’homme le sentiment d’appartenir à une communauté.

Alors notre homme malheureux flirte avec Joliette, avec Trois-Rivières, avec Bromont, avec Valleyfield. S’il franchit le pas, s’il quitte Montréal, ou même sa banlieue, il se sentira d’abord libéré. Comme s’il recommençait à vivre. Il le répétera à qui veut l’entendre. Mais il est bien possible qu’après un temps, ce calme en vienne à l’angoisser, à le rendre fou. Il se sentira loin de la grande ville, loin de son action, loin d’une vie dont il ne profitait peut-être pas pleinement, mais dont il aimait se sentir proche. Il se demande alors s’il a gaffé, s’il ne s’est pas éloigné de la vie et pense alors à retourner en ville. L’homme moderne est peut-être condamné à l’insatisfaction perpétuelle!

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