Il y a bien des manières d’aborder la question du syndicalisme agricole. L’une des moins stimulantes, au Québec, consiste à se laisser piéger par le débat entre les pro-UPA et les anti-UPA. Celui qui y entre se laisse avaler dans une guerre de clans qui a quelque chose d’ésotérique pour le commun des mortels. Non pas que cette querelle soit vaine. D’ailleurs, ce sont des intérêts très structurés qui s’y affrontent. Mais mieux vaut en sortir pour se sortir des guéguerres qui la polluent. Nul n’est obligé d’entrer dans une lutte entre corporatismes qui s’imaginent chacun avoir un monopole sur le bien commun. Il faut, de temps en temps, s’extraire du marais pour avoir une vue d’ensemble sur un enjeu.
Allons donc à l’essentiel: ce qu’il faut sauver, au-delà des prétentions d’une organisation ou de ceux qui la contestent, c’est l’idée d’une mobilisation des milieux agricoles et paysans pour éviter qu’ils ne soient broyés par les forces de la mondialisation ou par certains impérialismes étrangers qui cherchent aujourd’hui à s’implanter partout où ils peuvent comme si le monde n’était qu’un terrain de jeu. Disons cela d’une formule: il faut, en gros, qu’un pays appartienne à ceux qui y vivent et l’habitent et non pas à des spéculateurs pour qui l’appartenance est un mot désuet et condamné à l’abandon. Pour les idéologues de la mondialisation, l’enracinement est un obstacle à la libre-circulation intégrale des individus et des biens et services. L’enracinement est perçu comme un réflexe de repli sur soi et comme une peur du grand large. Ces idéologues justifient conséquemment la déconstruction ou même la destruction de toutes les barrières et limites qui entravent l’unification du monde. Mais pour l’homme ordinaire, l’enracinement, c’est une dimension vitale de son rapport au monde.
Le syndicalisme agricole, s’il a un sens, n’a pas pour vocation d’étouffer les petits producteurs qui se voudraient indépendants. Il n’est pas pour autant appelé à se morceler à un point tel qu’il serait finalement impuissant. Dans un univers mondialisé comme le nôtre, ceux qui habitent un même pays et qui n’ont pas l’intention de le laisser se décomposer devraient cultiver leurs intérêts partagés. Traduisons concrètement: les nations ne peuvent vraiment affronter la mondialisation que si elles font preuve de suffisamment d’unité et de cohérence pour faire entendre et valoir leur point de vue. Le syndicalisme agricole peut-il être autre chose qu’une forme de syndicalisme de l’enracinement?
Dans un monde de plus en plus mobile, de plus en plus fluide aussi, ce qui lie les hommes à un lieu, à une terre, à un paysage, à une demeure, à une maison, à une tradition, à une histoire, à une culture, à une mémoire, à un imaginaire, à des saveurs, à des odeurs, doit être préservé et même conservé. Si on me prête la formule, je dirais que nous avons besoin d’un syndicalisme conservateur, dans ce domaine comme dans bien d’autres. Parce qu’il faut, de temps en temps, savoir s’opposer à la marche du monde.
Crédit-Photo: Radio-Canada