Dans la rubrique Opinions du journal Le Devoir, l’agronome Samuel Comtois écrit aujourd’hui un texte intitulé : «Les pesticides, là où l’Ordre des agronomes a failli». Il se dissocie ainsi du message de son ordre professionnel. Rejoint par La Vie agricole, il nous a précisé : «La société a donné des privilèges aux agronomes, il faut les reconnaître. Et maintenant le débat est nécessaire. Il en va d’un enjeu de santé publique».
Dans sa lettre publiée dans Le Devoir, il déclare : « Je suis agronome et je travaille en agroenvironnement. C’est-à-dire que j’essaie, en collaboration avec mes clients producteurs de grandes cultures, de faire l’équilibre entre une production agricole optimale et la préservation de l’environnement. Dans le cadre de ma pratique professionnelle, je recommande des pesticides au besoin et des engrais de synthèse de façon indépendante sans en faire la vente».
Il souligne ensuite que : «L’adoption récente du nouveau règlement régissant la gestion des pesticides au Québec génère plusieurs débats sur le travail des agronomes et leurs potentiels conflits d’intérêts. À la suite de la prise de position de mon ordre professionnel sur le sujet, je ne peux faire autrement que prendre la parole publiquement et me distancier des propos tenus par notre président».
Ça prend un débat
Il critique l’absence de débat et craint que les ententes prises par son ordre professionnel ne créent que plus de paperasse et moins de travail de terrain pour les agronomes.
Il ajoute dans la lettre publiée dans Le Devoir : «L’Ordre des agronomes refuse, et ce, depuis très longtemps, de reconnaître qu’il y a un conflit d’intérêts dans le fait qu’un agronome puisse à la fois recommander un intrant agricole et tirer un profit de la vente de ce produit. (…) L’Ordre des agronomes agit comme une corporation protégeant l’intérêt des agronomes et non comme un ordre professionnel qui a comme seul mandat de protéger le public (…) Il faut impérativement que l’acte agronomique du diagnostic et de la recommandation soit séparé de l’acte de vente des intrants agricoles».
Apparence de conflit d’intérêts
Selon Samuel Comtois, «Un agronome ne peut à la fois recommander un pesticide ou d’autres intrants agricoles et tirer un revenu de ceux-ci. Cela le place en situation d’apparence de conflit d’intérêts». Il écrit ensuite : « Les compagnies de ventes d’intrants qui emploient des agronomes n’ont qu’une seule raison d’être : vendre des intrants agricoles et maximiser leurs profits. De ce fait découlent des pratiques commerciales telles que l’ajout de primes au salaire des agronomes, voyages gratuits pour les meilleurs vendeurs et les meilleurs clients et objectifs de vente à atteindre».
Où loge l’UPA ?
Il est pour lui normal que la population ait le droit d’exiger la probité de sa profession, surtout quand les actes professionnels ont une incidence sur la santé et le bien-être de cette population. Il ne sait pas pourquoi le président de l’UPA, Marcel Groleau et le ministre de l’Agriculture, Laurent Lessard étaient absents lors de la récente annonce faite par la ministre de l’Environnement mais il reconnaît : « Il y a une guerre à mots couverts depuis longtemps entre l’environnement et l’agriculture. Là, il y a un clash qui se fait. Je ne sais pas de quel côté sera l’UPA mais il faut que le débat se fasse.»
Marcel Groleau, président de l’UPA, a retweeté ce matin l’opinion publiée par Samuel Comtois en ajoutant le commentaire suivant : « Les agissements de l'ordre stigmatisent l’ensemble de la profession».
Une guerre sous-jacente entre les clubs-conseils et les compagnies privées ?
Questionné sur une éventuelle guerre sous-jacente entre les clubs-conseils partenaires de l’UPA et les compagnies privées, Samuel Comtois dit ne pas en avoir connaissance et dit estimer plusieurs de ses collègues qui oeuvrent directement au privé sans passer par les clubs-conseils. Il nous a toutefois déclaré que Pleine Terre inc, pour qui il travaille est une compagnie privée qui est sous-traitante des clubs-conseils.
La Vie agricole a rejoint ensuite l’ordre des agronomes du Québec. La responsable des communications, Laurence Therrien, nous a déclaré : « On ne répondra pas spécifiquement à cette lettre. M.Comtois a droit à son opinion mais l’ordre des agronomes maintient la sienne. Maintenant ce que nous attendons dans le dossier, c’est la position des compagnies de fournisseurs d’intrants.»
Questionnée sur la perception de l’Ordre des agronomes du Québec quant à une éventuelle guerre entre les clubs-conseils et les compagnies privées, Mme Therrien nous a expliqué ne pas pouvoir commenter au nom de l’Ordre des agronomes et que seul son président Michel Duval est habilité à le faire. M. Duval était à l’extérieur du bureau lorsque nous avons appelé. La question lui sera acheminée.
Pour Jacques Cartier, les clubs conseils manquent d'expertise !
La Vie agricole a aussi rejoint Jacques Cartier, président du Conseil des entrepreneurs agricoles (CEA) qui nous a confié: « Les clubs-conseils c'est L'UPA. Et Samuel Contois déraille. C'est archi-faux de dire que tout le monde a la même compétence. Au Québec sur 3000 agronomes. il y en a 150 qui sont compétents en phyto et 80 % de ceux-là travaillent au privé. Et oui, c'est vrai qu'il y a une guerre de longue date entre les clubs-conseils et les compagnies privées mais il faut le dire les clubs-conseils manquent d'expertise». Pour Jacques Cartier, il y a un lien de confiance entre le producteur et le représentant des fournisseurs d'intrants de compagnies privées qu'il n'y a pas forcément avec l'agronome d'un club-conseil. Jacques Cartier critique aussi l'omniprésence de l'UPA dans toutes les structures liées au développement de l'agriculture au Québec « avec l'argent du gouvernement en plus», dit-il.
Jacques Cartier nous a aussi assuré avoir parlé ce matin au ministre de l'Agriculture Laurent Lessard pour le sensibiliser au débat autour du rôle des agronomes. Le ministre serait-il sur le point de faire une sortie publique pour faire le point sur le sujet ? Christine Harvey, la nouvelle attachée de presse du ministre Lessard nous a fait savoir cet après-midi qu'aucune sortie publique n'est prévue. Pour ce qui est de notre demande d'entrevue avec le ministre, elle nous a précisé que celle-ci pourra se réaliser dans le cadre de la sortie de la nouvelle politique bioalimentaire.
Samuel Comtois a été en 2017 récipiendaire du Prix Jeune agronome qui vise à faire connaître «les qualités exceptionnelles de la relève en agronomie et en agroalimentaire». «Il permet aussi de favoriser le sentiment d’appartenance des jeunes agronomes à leur ordre professionnel et à renforcer la fierté d’exercer la profession d’agronome au Québec», peut-on lire dans le descriptif du prix. Samuel Comtois est agronome depuis 2006 chez Pleine Terre, une compagnie sous-traitante des club-conseils. Depuis 2002, l’entreprise PleineTerre est active auprès d’une clientèle variée constituée de producteurs agricoles, de municipalités, de MRC, d’entreprises privées, publiques et parapubliques peut-on lire sur son site. Acteur important pour l’avancement des connaissances scientifiques, PleineTerre œuvre en R&D en collaboration avec de nombreux partenaires tels que le MAPAQ, le CÉROM, l’IRDA, Agriculture Canada et des universités québécoises (Laval, McGill, UQTR, Concordia) selon ce qui y est inscrit.