Le gouvernement Legault sauvera-t-il les régions?

François Legault a promis de mettre les régions au cœur de ses politiques. Les régions l’ont cru et ont porté son parti au pouvoir. Qu’advient-il maintenant?

Le Québec, malade de ses inégalités

À l’instar de la France qui a vu s’approfondir la fracture entre les métropoles et les territoires ruraux et leurs petites villes, une réalité en grande partie à l’origine de la «crise des gilets jaunes», les inégalités économiques et sociales entre Montréal et Québec, d’une part, et le reste du territoire d’autre part ne sont pas moins criantes. Il existe, depuis trop longtemps, un «Québec des oubliés», ce Québec délaissé par les gouvernements successifs: fermeture de services publics telles des écoles primaires et les dessertes par train et autobus, coût du transport aérien exorbitant, départ de caisses populaires, dépérissement des centres-villes, périclitation des villages, désertification médicale, culturelle et alimentaire, rareté de l’emploi, perspectives d’avenir bloquées pour les jeunes… une qualité de vie qui se désagrège, des milieux de vie qui sont en déshérence, des communautés qui se sentent dépossédées.

Tous ces problèmes sont bien connus et font régulièrement l’objet d’études et de rapports déprimants suivis de discours politiques vertueux promettant les correctifs qui s’imposent. Or, les actions déterminantes se font toujours attendre.

Cette situation d’inégalité nourrit un profond sentiment d’incompréhension et d’abandon chez les élus locaux et les populations concernées et appelle à un nouveau contrat territorial entre l’État, les grandes villes et les régions.

 

Voici quelques pistes de réflexion.

  • La fracture territoriale et sociale n’est pas une fatalité
    L’écart qui sépare actuellement les agglomérations de Montréal et Québec des régions doit être comblé. Il en va de la justice sociale et de la cohésion territoriale.
    Cette fracture n’est pas une fatalité, c’est le résultat d’évolutions économiques et sociales telles l’industrialisation et l’urbanisation accélérées depuis les années 1950, que des choix politiques ont consolidé et conduit vers toujours plus de concentration sur les pôles de Montréal et Québec. Ce qui a eu pour conséquences le dépeuplement et la spirale de la dévitalisation dans les territoires hors des grands centres et de leurs zones d’influence – à une échelle moindre dans les villes moyennes. On peut penser que des choix politiques autres auraient pu orienter différemment les forces de développement et produire une configuration territoriale différente… en réponse à un projet de société élaboré à partir de critères économiques et sociaux d’une autre inspiration.

 

  • Innovation, ambition et audace
    «Soyons novateurs, soyons ambitieux et osons», clame le premier ministre Legault. Oser notamment sur le plan économique pour créer de l’emploi et de la richesse afin de combler l’écart avec l’Ontario et s’affranchir de la péréquation nationale. Mais la performance économique d’une nation ne tombe pas du ciel par les seules incantations et pèlerinages d’un chef d’État, tout homme d’affaires accompli qu’il fût dans une autre vie. Il y a un écosystème, un milieu novateur à mettre en place en amont de l’initiative économique, pour susciter des projets d’entreprises. Cet écosystème est l’environnement d’où naîtra l’embryon économique. Nous «osons» penser que les ministres responsables du développement économique régional, des affaires municipales et de l’occupation du territoire sont totalement conscients des orientations nouvelles à insuffler aux politiques et stratégies à incidences territoriales et que des actions significatives seront prises en ce sens. Contrairement à l’esprit qui a prévalu sous le gouvernement Couillard, alors que les structures de développement local et régional ont été emportées par les mesures d’austérité, signe d’une méconnaissance profonde du rôle et de la portée des régions dans le dynamisme de l’ensemble du Québec, il faut souhaiter que sous le gouvernement Legault, il y a une volonté de doter les collectivités locales et régionales des outils appropriés pour mettre les territoires en état de produire et de se développer. Et ainsi faire des régions des partenaires dynamique de la prospérité de tout le Québec.Quant au bien-être et à l’épanouissement social et culturel de la population, l’effort économique seul ne suffit pas. Des politiques sont requises pour assurer l’accès de tous les territoires aux services publics en ces domaines et ainsi garantir l’égalité des chances pour tous.Ce qui suppose une vision de développement qui englobe toutes les régions du Québec et une territorialisation de l’action publique pour que soient prises en compte les spécificités de chaque milieu. C’est ici que se tient la véritable audace du gouvernement.

 

  • Des réalités émergentes qui jouent en faveur d’une renaissance des régions
    Nous assistons à un retour du balancier du peuplement régional. Des évolutions récentes dans les domaines technologique, économique et écologique donnent lieu à de nouvelles logiques de localisation chez les entrepreneurs, les travailleurs et les familles. La dématérialisation de l’économie, la révolution numérique, l’essor du télétravail, les nouvelles organisations du travail, le coworking, la quête d’une meilleure qualité de vie libèrent de l’obligation de la concentration et invitent à porter un regard nouveau sur les petites villes et villages en région comme lieux de vie et de travail. Voilà des chances à saisir pour revoir les modèles de développement et d’aménagement du territoire, pour redéfinir les règles de répartition des activités économiques, repenser les organisations de travail et la mobilité physique des travailleurs. L’équilibre de l’occupation et de la vitalité des territoires n’apparaît plus alors comme une utopie. Par ailleurs, les disfonctionnements des grandes villes(pollution, congestion routière, coût de l’habitation et des espaces de bureau, insécurité et criminalité, stress de la vie quotidienne, taxes élevées…) sont de plus en plus oppressants. Ce qui explique en grande partie les mouvements d’exode urbain que l’on constate de plus en plus et qui contribuent à atténuer, sinon renverser les mouvements contraires d’exode rural qui prévalent depuis plus d’un demi-siècle.
    Ce contexte à double dimensions – attraction/répulsion – confère un potentiel d’accueil nouveau aux régions désormais vues comme des lieux alternatifs désirables et viables pour les entreprises et les familles.Plusieurs sondages et mouvements interrégionaux d’ici et d’ailleurs témoignent d’un désir croissant de la population, notamment celle des grandes villes, de vivre en région, villes petites et moyennes et milieux ruraux.

 

  • Une répartition équitable des ressources pour un meilleur équilibre des territoires
    Le redéploiement économique et démographique en dehors des agglomérations de Montréal et de Québec se concrétisera dans la mesure où l’État acceptera d’accorder les investissements requis pour doter les régions des atouts nécessaires à l’occupation et à la vitalité des territoires, soient les infrastructures, les équipements et les services publics accessibles à tous. Des investissements structurants répondant aux besoins et aux attentes de la nouvelle économie tout autant qu’à la société du 21e siècle seront programmés pour les régions. En somme, des programmes d’investissements structurants comme l’État l’a fait au cours des 60 dernières années pour « accompagner » l’urbanisation et la création d’emplois à Québec et à Montréal. C’est là un juste retour des choses. Aujourd’hui, pour « accompagner » la reconquête et la recomposition des régions. Et à la clé, une contraction de la fracture territoriale, due à un meilleur équilibre de l’occupation et de la prospérité des territoires.

 

  • Créer des environnements attractifs pour les entreprises et les familles en région
    Si l’économie est mondialisée, la production est localisée et, à ce titre, elle doit bénéficier d’une politique publique d’accompagnement adaptée aux besoins et aux attentes des entrepreneurs, des travailleurs et des familles. Une politique qui se décline sur la base de plusieurs paramètres : amélioration des quatre modes de transport (routier, ferroviaire, aérien, maritime), disponibilité et formation de la main-d’œuvre, internet haut débit et téléphonie mobile, structures locales et régionales de développement et programmes de financement, services aux familles (éducation, culture, santé, sport et loisirs, administration publique, services de proximité, protection et mise en valeur des patrimoines naturels, bâtis et immatériel, etc.).Dans cette perspective, on désignera un certain nombre de sites d’activité économique (industries, commerces, services) pour constituer des bassins d’emplois disponibles aux populations des régions. Des aides seront accordées aux entreprises qui feront le choix de s’établir sur ces sites ou dans une petite ville ou village de la région. Le but de ces programmes d’aide étant de créer des emplois offerts localement, réduisant ainsi la dépendance aux grands pôles urbains et limitant les déplacements sur de longues distances entre lieux de résidence et lieux de travail.Les efforts déployés à travers des partenariats multiformesréunissant l’État, les grands centres urbains, les agglomérations urbaines et les MRC auront pour principal objectif d’accroître l’attractivité et la compétitivité des communautés en région.Les stratégies vigoureuses de développement régional, accompagnées d’incitatifs au redéploiement économique et démographique, marqueront un véritable virage dans les politiques régionales.À travers cette démarche, l’aménagement du territoire est appelé à jouer un rôle de premier plan au service des grandes orientations d’occupation, de vitalité et de cohésion des territoires.La recherche soutenue des équilibres territoriaux fait appel à une conception renouvelée de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme qui restent politiquement, financièrement et méthodologiquement à inventer. Autre défi stimulant où l’audace trouvera place.

 

  • Un grand chantier pour le gouvernement Legault: le sauvetage des régions
    Le premier ministre a invité ses ministres à rêver, à avoir de l’ambition et à oser dans l’exercice de leurs fonctions. Une invitation à jeter un regard nouveau sur les différentes facettes du projet de société et à bousculer des façons de faire au besoin.Les responsables du développement territorial et de l’élaboration des outils stratégiques, techniques et financiers pour que tous les acteurs impliqués puissent faire du bon travail sont ainsi conscrits à une obligation de résultats qui devraient projeter les régions dans une phase de développement inédite, résolument inscrite dans la modernité du 21e siècle.Ce vaste chantier sera facilité s’il procède d’une vision et d’un plan globalpouvant compter sur un cadre institutionnel doté des 6 piliers suivants:
  1. Une véritable loi de décentralisation accordant plus de pouvoirs et des ressources accrues aux collectivités territoriales (municipalités, MRC/agglomérations, régions).
  2. Une politique intégrée de développement local et régional, incluant des dispositions spécifiques pour les villes petites et moyennes et les territoires ruraux.
  3. Le rétablissement de structures de développement local et régional dotées des ressources humaines, techniques et financières appropriées.
  4. Une réforme de la fiscalité locale pour une diversification des sources de revenus et un accroissement des ressources financières aux collectivités territoriales.
  5. Une politique nationale de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
  6. Une réforme de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles pour une application plus rigoureuse là où se concentrent les bons sols agricoles, principalement dans la vallée du Saint-Laurent et les vallées subsidiaires, et pour plus de souplesse là où les sols ont peu ou pas d’aptitudes à une pratique agricole rentable, des sols souvent désertés par les agriculteurs et dans des municipalités dévitalisées qui ont plus besoin de projets de développement que de mesures de «conservation». Les lois 109 et 121 qui ont accordé respectivement le statut de Capitale nationale à la Ville de Québec et celui de Métropole à la Ville de Montréal en 2016 ont aussi avantagé ces deux grandes villes de pouvoirs et d’autonomie accrus. Concernant les municipalités locales, bien que la loi 122adoptée en 2016 soit en ces termes libellée: Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, force est de reconnaître que bien peu de pouvoirs nouveaux leur ont été accordés, et moins encore de moyens. D’où le besoin d’une véritable loi de décentralisation pour assurer plus de pouvoirs et une plus grande autonomie aux municipalités locales et aux MRC/agglomérations.

 

En complément: pacte de solidarité territoriale entre grandes villes et régions

Personne ne contestera la nécessité pour un pays (ou une province) de disposer de grandes agglomérations urbaines fortes et compétitives, capables de se mesurer aux métropoles internationales. Un parti pris vigoureux en faveur du développement régional ne signifie pas de négliger l’essor de Montréal et de Québec. Celles-ci profiteront de la redynamisation des régions et des rapprochements de coopération.  Et, du point de vue de la société globale, la « renaissance régionale » viendra atténuer, sinon dissiper les inégalités et les disparités territoriales.

La réflexion sur le phénomène des aires métropolitaines ne doit pas se limiter au strict périmètre des grandes agglomérations, mais prendre en compte les effets positifs et négatifs que leur croissance entraîne sur le reste du territoire. Ainsi, on ne peut rester indifférents au siphonnage des ressources et à l’assèchement des territoires que la puissance des grandes villes entraîne trop souvent. Les relations entre les aires métropolitaines et les régionsdoivent tendre à la coopération.

Tous les espaces habités, qu’ils soient métropolitains, urbains, périurbains, ou ruraux doivent faire face aux enjeux majeurs du 21e siècle que sont la réduction des inégalités (économiques, sociales, territoriales), la lutte contre le dérèglement climatique et l’adaptation à ses conséquences, l’amélioration de la qualité de vie, l’accès aux services publics, etc. Or, aucun territoire ne peut, seul, apporter des solutions qui répondent à tous ces enjeux. Il y a aujourd’hui une obligation à dialoguer et à coopérer. Il s’agit, au lieu d’opposer les territoires, de les réconcilier par des objectifs et des projets communs.

Plus que la coopération, il y a pour les grandes villes un devoir de solidarité envers le reste du territoire, notamment les communautés les plus fragiles, moins bien pourvues en capacités d’agir. Ce qui implique de partager des expertises et des ressources, de mobiliser les compétences concentrées pour les rendre utiles aux démarches de développement des petites villes et des municipalités rurales en région.

Au-delà de la nécessaire solidarité financière dont devront faire preuve les métropoles en matière de fiscalité et de péréquation, les petites villes et les territoires ruraux ont besoin d’ingénierie pour monter des dossiers de gestion interne, accroître leur offre de services, relever les défis que posent la protection de l’environnement et la mobilité des populations, etc.

La coopération est déjà institutionnalisée et normalisée en quelque sorte au sein des MRC et des agglomération urbaines et métropolitaines. Mais, il faut aller plus loin en intégrant les dimensions de solidarité et de générosité.

À Montréal, au cœur du quartier des affaires, a été inaugurée à l’automne 2017 la Maison des régions qui se veut «un lieu de rassemblement, un espace de rencontre où tous les élus et les acteurs du développement socioéconomique des régions et de la Métropole se réunissent, échangent, et développent des liens». Initiative de l’ancien maire de la Ville de Montréal, Denis Coderre, la Maison des régions est une créature de la métropole qui assure son financement et définit ses orientations et champs d’activités.

Peut-on penser que la Maison des régions pourrait dépasser les fonctions de vitrine des régions, de lieu de rassemblement et d’événements d’affaires pour se mettre véritablement au service du développement des régions, élargissant ainsi sa mission? On conçoit alors que la Maison des régions ne relèverait plus exclusivement de la Métropole, mais que des partenaires tels l’Union des municipalités du Québec, la Fédération québécoise des municipalités et le ministère du Développement économique régional seraient parties prenantes de l’aventure financièrement, administrativement et dans son mode de fonctionnement. L’expertise et les ressources de la Métropole «étant au service des régions», tout en reconnaissant que la «prospérité des régions et celle de la Métropole sont liées», leur développement «passe par la mise en commun des forces de la métropole» (voir maisondesregions.com).

Observatoire des inégalités territoriales

Comme on a pu le constater, la fracture territoriale entre les aires métropolitaines et le reste du territoire est une source prégnante d’inégalités et de disparités. Un gouvernement soucieux de combattre efficacement cette fracture territoriale par une politique et des mesures fortes de développement régional serait bien avisé de créer un observatoire des inégalités territoriales et sociales pour observer, mesurer et suivre l’évolution de ces inégalités. Des ajustements judicieux de politiques pourraient au besoin être faits. Les ministères du Développement économique régional et des Affaires municipales pourraient être responsables d’un tel observatoire, avec la collaboration d’un institut ou groupe de recherche universitaire.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *