Lors de la conférence de l’industrie laitière de la Colombie-Britannique (BC DairyConference) qui s’est tenue à Vancouver le 28 novembre dernier, le directeur général de l’Association des transformateurs laitiers du Canada (ATLC), Mathieu Frigon, a mis le doigt sur une problématique de plus en plus soulevée par des transformateurs sur l’avenir du monde du lait. Pour le moment l’information a peu filtré, mais on assisterait à une destruction de la valeur des produits laitiers du Canada et le gouvernement fédéral en serait le principal responsable. On peut facilement en déduire que cela deviendra un danger pour l’avenir de la gestion de l’offre si rien n’est fait pour ajuster le tir !
Le gouvernement largement responsable !
La responsabilité de cette baisse de valeur des produits laitiers reviendrait essentiellement au gouvernement fédéral qui aurait clairement manqué de vision stratégique. Mathieu Frigon que nous avons rejoint le 2 décembre par téléphone nous a expliqué : «Il y a sûrement plus qu’un facteur, mais oui, le gouvernement fédéral est l’une des causes de la situation qui prévaut. Il faut savoir que le prix au détail des produits laitiers a diminué depuis 5 ans alors que l’ensemble des aliments a connu une augmentation de ses prix. Et cela est dû en bonne partie à l’allocation des contingents tarifaires aux distributeurs/détaillants. Plus de 50 % de contingents tarifaires ont été attribués aux non-laitiers».
Mathieu Frigon ajoute : « Cet impact se remarque sur la structure de la filière au complet. Le pouvoir était déjà déplacé dans les mains des distributeurs, le gouvernement a empiré les choses ! Le gouvernement a largement contribué à cette défaillance du marché et à la destruction de la valeur de la chaîne d'approvisionnement en produits laitiers, en allouant ainsi aux détaillants / distributeurs la moitié des contingents tarifaires en vertu de l’accord Canada/Europe (AECG/CETA)».
Certaines fromageries à 50 % de leur capacité de production !
« Il faut savoir que certaines fromageries au pays sont actuellement à 50 % de leur capacité de production comparée à il y a deux ans. Il y a actuellement des fromages qui arrivent d’Europe à 7,50 $ le kilo alors que le prix du lait à la ferme au Québec est à 9 $ le kilo avant transformation !» de s’exclamer Mathieu Frigon.
Comment une entité commerciale qui, d’un point de vue financier pour assurer sa pérennité doit générer un revenu supérieur aux dépenses, peut-elle sans sortir dans une telle situation ?
Ailleurs dans le monde, la distribution a été mise au pas !
Au cours de la conférence de Vancouver, il a été rappelé qu’après avoir étudié l’évolution des prix de détail dans le secteur laitier au Canada, un consultant international a décrit la situation comme une situation dans laquelle la valeur est réellement en train d’être détruite. Parmi 103 entreprises étudiées, l'échec stratégique est le principal responsable et cela dans 81% des cas !
Ailleurs dans le monde le trop de pouvoir de la distribution a déjà été reconnu ! C’est ce qu’a expliqué Mathieu Frigon au cours de sa conférence : «Les gouvernements d’Australie, du Royaume-Uni et d’Irlande ont reconnu le potentiel de destruction de la puissance d’un pouvoir de marché excessif des détaillants» et ils «ont promulgué des codes de pratique pour les détaillants en alimentation».
Gestion de l’offre en danger ?
La situation actuelle d’étranglement des transformateurs laitiers est un vrai danger potentiel pour la gestion de l’offre. Au-delà de la problématique des producteurs de lait largement médiatisée ces dernières années, un malaise est de plus en plus apparent chez les transformateurs : «Les transformateurs de produits laitiers sont de plus en plus coincés entre les grands détaillants / distributeurs en alimentation et le système de tarification réglementé», a spécifié Mathieu Frigon.
On peut en déduire que c’est en quelque sorte un gros questionnement sur l’avenir de la gestion de l’offre dans son état actuel !
Ça ne s’améliorera pas ! La fracture entre producteurs laitiers et transformateurs est réelle !
Le secteur laitier actuel est en déclin structurel et cela ne risque pas de s’améliorer.
Le directeur général de l’ATLC explique que si un producteur laitier est pris avec une perte de valeur sur sa ferme, il réfléchira à des questions stratégiques difficiles : à savoir se séparer des produits laitiers et se diversifier en céréales? Acheter son voisin? Ou tout vendre ?
L’heure est venue où les transformateurs de produits laitiers se posent des questions stratégiques similaires ! La fracture entre producteurs et transformateurs ne fera que s’amplifier à moins d’un réel travail en commun pour empêcher la destruction de valeur dans le secteur laitier ne se concrétise.
Le gouvernement doit agir vite !
Si Mathieu Frigon espère qu’on ne soit pas encore rendu à parler de la fin de la gestion de l’offre, il n’hésite pas à rappeler que deux actions sont pour cela nécessaires à court terme :
- Allouer les contingents tarifaires aux transformateurs laitiers et non aux distributeurs
- Lancer un programme d’investissement pour les transformateurs laitiers
Mathieu Frigon nous a précisé que la ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, récemment renouvelée dans son poste, n’a pas encore donné de rendez-vous précis sur ces enjeux, mais que son association est en lien direct avec son équipe et qu’il a bon espoir qu’elle entendra les besoins de l’industrie qu’il représente.