Site icon LA VIE AGRICOLE / LVATV.CA

L’affaire n’est pas ketchup

L’affaire n’est pas tout à fait ketchup. André Lamontagne, ministre responsable de l’agriculture, présentait une nouvelle politique d’autonomie alimentaire, au cours de la même semaine où l’on apprenait que Kraft-Heinz recevait un prêt garanti par les contribuables québécois pour fabriquer du ketchup à Montréal en utilisant des tomates américaines. Un prêt de deux millions de dollars sera garanti par les contribuables québécois pour permettre à une multinationale d’apposer une feuille d’érable sur ses bouteilles. Le ministre signalait que l’usine de ketchup s’approvisionnerait désormais de tomates québécoises d’ici 2023. En comprenant à quel point la production de tomates pour la transformation comporte son lot de complexités, disons qu’il y a lieu d’être sceptique. Parlez-en à Leamington en Ontario.

Kraft-Heinz effectue son retour au pays après une disette de six ans sans produire sa marque de ketchup au pays. La marque Heinz la plus vendue au Canada détient presque 77 % du marché canadien. Bientôt, 98 % de ce ketchup sera produit dans une usine montréalaise. Mais l’annonce de Kraft-Heinz passe mal à Leamington. Dans la capitale nationale de la tomate au Canada, la mention du nom Kraft-Heinz s’accompagne souvent de jurons. Au sein de cette communauté, plusieurs se souviennent encore vivement de la fermeture de l’usine en 2014 qui éliminait du coup 600 emplois et laissait au-delà de 50 producteurs de tomates sur le carreau. Plusieurs Ontariens et Canadiens boycottent encore le ketchup Heinz et encouragent la marque French’s qui achète sa pâte de tomate à Leamington et fabrique maintenant son ketchup en banlieue de Toronto.

Grâce au leadership de quelques investisseurs locaux, l’usine a repris ses activités et emploie maintenant environ 300 personnes. Une belle histoire, mais le retour en force de Leamington s’est fait sans l’aide de Kraft-Heinz. Avec une usine à Montréal, Kraft-Heinz devrait s’approvisionner de tomates québécoises qui n’existent pas présentement dans la province. On ne peut pas s’improviser producteur de tomates pour la transformation. Il faut de l’équipement, de bonnes terres et surtout, une bonne connaissance du domaine. Pour cette raison, les contrats d’approvisionnement dans le secteur se négocient sur plusieurs années. Avec des marges bénéficiaires qui s’amincissent, Kraft-Heinz achètera la tomate la moins chère, qu’elle soit québécoise ou non. La feuille d’érable, elle, se retrouvera toujours sur la bouteille.

Par ailleurs, le ministre Lamontagne a aussi confirmé un investissement de 157 millions de dollars dans le secteur bioalimentaire québécois en vue d’assurer une plus grande autonomie. Une bonne nouvelle, même s’il n’est pas clair de savoir comment cette politique s’entremêlera avec la stratégie bioalimentaire du Québec présentée il y a plus d’un an. Les thèmes se ressemblent énormément. La stratégie profitait déjà d’un appui budgétaire qui dépassait les 250 millions de dollars. Cela étant dit, le Québec fait plus pour son secteur agroalimentaire que toute autre province canadienne.

André Lamontagne le meilleur depuis Jean Garon

Lamontagne se démarque par son leadership et se qualifie probablement comme l’un des meilleurs ministres de l’Agriculture du Québec depuis Jean Garon. En dirigeant son ministère et en posant des gestes concrets pour mieux servir les consommateurs québécois, il reste à l’écoute de l’ensemble des parties prenantes, sans favoriser un groupe en particulier. C’est franchement rafraîchissant. Il lance aussi un message simple et sans ambiguïté avec le « contrat social » pour le secteur agroalimentaire en demandant aux Québécois de dépenser 12 dollars sur des produits locaux durant les prochaines semaines. Il lance ainsi un défi à tous en véhiculant un message clair et efficace.

Mais les Québécois achètent déjà beaucoup de produits locaux. Depuis le début de la pandémie, plusieurs produits locaux se retrouvent en rupture de stock. Pour la suite, il faut s’assurer que les produits québécois demeurent abordables toute l’année. Avec une population qui ne dépasse pas neuf millions d’habitants, les contribuables et consommateurs québécois n’arrivent pas à tout faire. Les 157 millions annoncés seront payés par les générations futures, faut-il le rappeler.

Une stratégie d’autonomie alimentaire passe par une meilleure attractivité d’investissements provenant de l’extérieur. Afin de maintenir les coûts le plus bas possible, la capacité de production demeure un facteur important. Avec l’appui du gouvernement fédéral, Protein Industries Canada a bien compris cette stratégie et l’emploie dans l’Ouest canadien pour ses légumineuses. L’approche de la chaîne de valeur du groupe en matière d’innovation, conduisant à une production et une transformation accrues au sein du secteur, a incité plusieurs entreprises étrangères à investir dans la région. Nestlé et Roquette font partie du groupe. Le Québec aurait besoin d’une telle astuce pour acquérir une plus grande autonomie alimentaire. Sinon, le nationalisme économique prendra le dessus, et pour un petit marché comme le Québec, ce serait mortel.

Le ministre fera une annonce sous peu pour mieux soutenir la filière serriste au Québec, sur les coûts d’énergie, entre autres. Certes, ces conditions favoriseront l’investissement, que les capitaux proviennent d’ici ou d’ailleurs.

 

Quitter la version mobile