Douglas Hedley – L’un des principaux objectifs non écrits du gouvernement fédéral est de « veiller à ce que la Confédération fonctionne ». Cela impose au gouvernement fédéral un fardeau qui n’est pas nécessairement partagé par les provinces et les territoires du Canada. Ce fardeau est particulièrement pénible dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, où la Constitution répartit les responsabilités entre les deux ordres de gouvernement. Il est aggravé par l’évolution des priorités sociales et politiques qui a affaibli l’intérêt des gouvernements envers l’adaptation des politiques au secteur agroalimentaire. Cette dynamique crée un cadre incroyablement difficile dans lequel élaborer des politiques et souligne la nécessité d’un dialogue plus approfondi sur les processus qui régissent les politiques agroalimentaires et les résultats qu’elles produisent.
Avant de se tourner vers l’avenir, il est impératif de comprendre le contexte historique et l’évolution du cadre fédéral-provincial-territorial (FPT), tout en examinant comment l’environnement dans lequel il œuvre a changé.
Pendant des décennies, la politique agricole a été dictée par des approches concurrentielles et très différentes d’un bout à l’autre du Canada. Au début des années 1990, les ministres FPT ont déployé des efforts soutenus pendant une décennie pour créer une approche plus unifiée. Commencer par des approches de gestion des risques, y compris une formule commune de partage des coûts, et s’étendre à plusieurs autres domaines d’intérêt stratégique commun, notamment la recherche, le développement des marchés nationaux et internationaux et l’amélioration de la production et de la transformation concurrentielles. Il a fallu établir lentement et régulièrement la confiance entre les gouvernements FPT afin d’arriver à une compréhension commune du traitement équitable par le gouvernement fédéral dans l’ensemble du Canada.
Par le passé, les accords FPT quinquennaux qui en ont découlé ont été prolongés sans difficulté. Cependant, il semble qu’il ne soit plus possible d’obtenir le consensus nécessaire pour utiliser ces accords afin d’apporter des modifications significatives au niveau des politiques.
La confiance des gouvernements fédéral et provinciaux semble s’être considérablement érodée au cours des dernières années, sous l’effet d’un éventail de préoccupations concernant le traitement équitable du gouvernement fédéral dans un éventail de secteurs, y compris les paiements de péréquation, la politique énergétique et les pipelines, les actions liées aux changements climatiques et autres. Cela s’est produit parallèlement à un déclin de l’intérêt apparent envers le maintien d’approches stratégiques communes en agriculture et en alimentation.
La COVID-19 a également eu une incidence sur la confiance et a empêché les réunions officielles des ministres et, sans doute plus important, les interactions informelles, qui sont d’une importance cruciale pour établir et maintenir la confiance et un objectif commun entre les ministres.
Du point de vue des échanges commerciaux, l’agriculture canadienne se trouve dans une situation très différente de celle d’il y a cinq ans. Le Canada n’a pas la protection qu’offre un mécanisme de règlement des différends efficace dans l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La Chine est devenue beaucoup plus agressive dans les accords commerciaux, y compris dans les réactions touchant le commerce agricole aux « affronts » diplomatiques ou économiques perçus de toute sorte. L’Australie, le Canada et d’autres pays, dont la Norvège, ont été confrontés à ce problème. Dans la plupart des cas, l’arme de choix de la Chine est le commerce des produits agricoles primaires. L’accord entre les États?Unis et la Chine sur certains produits agricoles primaires pour 2020-2021 représente un commerce encadré, contrairement à l’intention de l’accord de l’OMC, laissant les autres exportateurs comme fournisseurs secondaires, forçant la réorientation des flux commerciaux de façon plus générale. La nouvelle administration américaine n’a manifesté aucun intérêt à modifier les accords avec la Chine ni aucun intérêt à renouveler la procédure de promotion des échanges commerciaux, qui est le fondement des négociations commerciales nouvelles ou renouvelées aux États-Unis.
La question fondamentale est de savoir comment le Canada peut aller de l’avant dans la définition et la mise en œuvre de la politique agricole et alimentaire canadienne dans le contexte du monde d’aujourd’hui. La difficulté réside dans le fait que le monde dans lequel nous nous retrouvons est très différent, y compris l’environnement commercial auquel nous sommes confrontés, le nationalisme économique émergent, les changements dans les arrangements institutionnels au Canada et à l’étranger et l’instabilité de toutes ces relations et institutions. La voie à suivre pour de nombreux enjeux dépasse la portée expérientielle des dernières années.
Les changements climatiques en sont un exemple. Le secteur agricole et agroalimentaire a un rôle important à jouer pour freiner les émissions de gaz à effet de serre (GES). Bien que les approches initiales de haut niveau du gouvernement aient peu reconnu le rôle de l’agriculture, il faut des politiques et des programmes adaptés à l’agriculture plutôt qu’une approche universelle, à la fois pour des raisons de commerce intérieur et international. La gestion des GES provenant de millions d’hectares de terres et de millions d’animaux d’élevage est très différente de la gestion d’une seule cheminée industrielle. Il est difficile pour un ministre de l’Agriculture, fédéral ou provincial, de diriger la conception des politiques et des programmes nécessaires avec un contrôle politique centralisé et descendant.
Le caractère imprévisible des défis potentiels tant dans la production intérieure que le commerce d’exportation donne également à penser qu’une politique pluriannuelle « stable » globale ne survivra probablement pas très longtemps. Nous ne pouvons pas déterminer où le secteur agricole et agroalimentaire canadien doit se situer dans cinq ou dix ans ni définir la voie à suivre pour atteindre un tel objectif. De toute évidence, un ensemble de mesures de gestion des risques de l’entreprise à long terme peut fournir une base initiale pour rajuster le revenu agricole, mais ne peut probablement pas traiter de l’éventail de mesures nécessaires pour réagir aux événements imprévus liés au commerce et au marché intérieur.
Pour ce qui est de l’avenir, le secteur de l’agriculture et de l’alimentation fait face à beaucoup plus d’incertitude que jamais depuis les 25 dernières années en ce qui concerne les enjeux diplomatiques, économiques, sociaux, politiques et commerciaux. Le concept selon lequel une politique commune pour l’ensemble des sujets ayant une incidence sur l’agroalimentaire peut remplacer le cadre stratégique agricole actuel et demeurer stable en grande partie pendant cinq ans ne semble pas applicable. Les politiques et les processus stratégiques devront être exceptionnellement souples, ce qui nécessitera une vaste discussion ouverte entre les ministres et l’industrie pour réagir collectivement à mesure que l’incertitude se manifestera.
Accepter cette réalité est le fondement de la recherche d’idées et d’orientations offrant les moyens de se préparer aux incertitudes, plutôt que de réagir aux événements après coup. Le document intégral produit pour l’Institut canadien des politiques agroalimentaires (ICPA) est une invitation à participer à cette conversation.