Le secteur du lait fait jaser et ce n’est pas d’hier. En 2016, dans la préface du livre que j’ai coécrit avec Yan Turmine et Simon Bégin: Une crise agricole au Québec, vers la fin des fermes laitières traditionnelles ?* Jean Pronovost, célèbre auteur du Rapport Pronovost, écrivait « La gestion de l’offre est devenue un monstre de complexité, un système kafkaïen dont peu de producteurs réussissent à comprendre toutes les règles. La technocratie a pris une ampleur à la mesure de cette enflure réglementaire».
Il ajoutait : « De fait, il y a aujourd’hui au siège social de l’Union des producteurs agricoles (UPA) plus d’employés qui gèrent les ‘’vraies affaires’’, dont la gestion de l’offre, qu’il y en a au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. Cette bureaucratie est compétente, mais on peut se demander si ses intérêts coïncident toujours avec ceux des consommateurs et des producteurs- d’où le divorce de plus en plus apparent entre la base et le leadership syndical (…) Mais comme le titrait déjà La Vie agricole en mai 2015 ‘’ Le feu est pris dans l’étable’’ ! Il est impossible d’imaginer que les producteurs laitiers en détresse attendront 2017 pour se faire entendre et 2018 pour qu’on leur propose des solutions».
M.Pronovost doit se retourner dans sa tombe!
Et pourtant nous sommes en 2021 et pas mal au même point ! M. Pronovost qui nous a quittés il y a plus de deux ans maintenant doit se retourner dans sa tombe à voir le statu quo perdurer.
Et comme nous l’écrivions alors : «C’est la grande agriculture qui fait vivre les campagnes québécoises et qui est la base de l’alimentation quotidienne des gens. C’est elle aussi, du moins pour le lait, les œufs, et la volaille, qui sera la première victime de la crise annoncée.».
La pire erreur selon Mathieu Bock-Côté
À travers ce livre quelques éminents penseurs nous ont livré leur lecture de la situation et ce fut le cas de Mathieu Bock-Côté que nous citions «La pire erreur des défenseurs de la gestion de l’offre serait alors de maintenir cette image d’une lutte pour la défense d’intérêts particuliers alors qu’il s’agit d’intérêts collectifs (…) les Québécois sont encore capables de solidarité à la condition qu’ils sentent qu’il y a un enjeu commun qui les touche, qu’une partie de leur identité risque de s’effacer, que ‘’les leurs’’ sont en danger et que le village risque de fermer».
La gestion de l’offre utile, mais victime du peu de transparence
Tous les interlocuteurs rencontrés pour ce livre, de Claude Béland (Desjardins) à Pierre Nadeau (Conseil industriel laitier du Québec) en passant par les producteurs eux-mêmes étaient unanimes et refusaient le statu quo de la gestion de l’offre et nombreux étaient ceux qui déclaraient que la gestion de l’offre était bel et bien malade, victime du peu de transparence des organismes qui la gèrent.
Depuis 1994 et les négociations du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) personne n’a réellement évalué l’importance de la révolution des ingrédients laitiers qui commençait alors et qui est au cœur de la crise qui perdure, rappelle dans ce livre Pierre Nadeau ancien directeur du Conseil industriel laitier du Québec (CILQ).
Le Québec avec seulement 23 % des consommateurs de lait au Canada produit plus de 40 % du lait canadien. Pour les gestionnaires du plan conjoint au Québec, toute évolution qui pourrait entrainer que le quota provincial alloué au Québec soit alloué à une autre province a-t-elle été l’occasion d’accepter bien des dérives avec lesquelles nous vivons encore aujourd’hui ?
*Une crise agricole au Québec, vers la fin des fermes laitières traditionnelles ? coédité par VLB Éditeur et La Vie agricole – 2016