Les candidats à l’Élysée proposent-ils une vision claire pour l’avenir de l’agriculture, secteur stratégique pour notre sécurité alimentaire, notre santé et le changement climatique. Dans cette campagne très vaporeuse, qui n’imprime pas, qui ne débat pas encore, l’agriculture est elle aussi enfouie dans la brume ! A la veille du salon de l’agriculture, tentons de dissiper un peu ce brouillard.
La lecture des quelques lignes de programme agricole des candidats, l’écoute des premiers interviews et du seul grand oral ayant déjà eu lieu, révèlent surtout beaucoup de flou, voir une improvisation à quelques exceptions près et surtout un conformisme inquiétant.
Chaque candidat aborde la question agricole par une fenêtre, un angle global qui lui est propre.
Fabien Roussel nous parle vin, viande, fromage, un bon repas pour « La France des jours heureux ». L’alimentation est son cheval de bataille agricole, les cantines un fer de lance pour former nos enfants. Il promet dix milliards (plus que le budget de la Politique Agricole Commune) pour accompagner les collectivités à préparer des bons repas, pas chers, pour nos bambins. Le reste se résume à une loi de programmation et des réglementations sur les prix, la nationalisation d’une banque pour financer l’agriculture, l’arrêt de l’intervention du secteur privé dans l’assurance récolte …
Jean-Luc Mélenchon, raconte une nouvelle histoire, propose une « révolution agricole et alimentaire ». A ce jour, il a le programme le plus précis, le plus travaillé, chiffré dans une cohérence de rupture assez grande. On pourrait résumer en planification écologique, réglementation (« réforme agraire », prix plancher aux agriculteurs et plafond dans la distribution, zones tampons de 200 m …), et participation citoyenne (conférence annuelle par grand bassin pour fixer les prix …). Il souhaite aussi former 300 000 nouveaux paysans pendant le mandat. Il propose également de créer un organe de défaisance pour reprendre la dette des exploitations passant en bio.
Yannick Jadot propose lui, quelques mesures classiques écologiques mais n’exprime pas véritablement de vision forte : passer la PAC des aides à l’hectare vers des aides à l’actif, interdiction immédiate des produits phytosanitaires les plus médiatiquement controversés, sortie progressive de l’élevage industriel, taxer les engrais azotés, cantines publiques proposant uniquement du bio à la fin du mandat…
Anne Hidalgo défend l’agroécologie, n’exprimant pas non plus véritablement de vision à moyen terme (30% de bio en 2030, interdiction glyphosate et néonicotinoides dans les 100 jours). Elle affirme un soutien aux petites et moyennes exploitations ayant beaucoup de main d’œuvre. Elle propose de renforcer les régulations foncières, de rendre obligatoires les plans territoriaux alimentaires. Au plan institutionnel, elle propose de voter tous les ans un budget climat, biodiversité, décarbonation en même temps que la loi de finance.
Valérie Pécresse est la seule à porter des mesures économiques en proposant un alignement de mesures libérales assez classiques d’allégements fiscaux et sociaux. Elle exprime une grande méfiance sur les lois de régulation économique et commerciale. Elle affirme aussi vouloir simplifier et alléger les normes et les contraintes. Tout cela sans véritablement proposer d’ambition pour l’agriculture. Elle est la seule à s’exprimer clairement pour développer l’innovation, la recherche et en particulier la génétique.
Marine Le Pen et Eric Zemmour semblent réserver l’annonce d’un programme pour le salon. La candidate du Rassemblement Nationale revendique une politique « localiste et protectionniste », celui de Reconquête n’affiche pour l’instant pas grande idée agricole si ce n’est soutenir l’innovation et les robots pour limiter l’usage des produits phytosanitaires et l’emploi de saisonniers étrangers.
Certaines mesures font un quasiment consensus comme l’adoption des clauses miroir pour ne pas importer de denrées agricoles produites selon des techniques interdites chez nous. La sortie des produits phytosanitaire est un objectif quasi général, selon un timing et des modalités différentes. La non surtransposition des normes est aussi plébiscitée de même que l’intérêt de la consommation de produits locaux. Le levier d’action que représentent les cantines est utilisé par presque tous les candidats avec une intensité variable.
L’importance de la régulation législative sur les relations commerciales, la protection du revenu des agriculteurs divisent fortement les candidats.
Quelques absences font aussi l’objet d’une remarquable unanimité : la notion d’entreprise agricole, la fonction de chef d’entreprise de l’agriculteur sont complètement absentes. La question du rôle de l’exportation est également soigneusement éludée.
Tous, finalement, traitent l’agriculture de la même manière depuis des décennies. Figés dans une sorte de statu quo immuable, ils semblent ne pas percevoir les dynamiques actuelles, l’importance des transitions en cours. Finalement seuls un ou deux candidats expriment une vision. On reste dans une typologie très classique et hautement prévisible de mesures proposées en fonction de leur passé politique .
Le salon de l’agriculture sera, espérons-le, l’occasion pour les candidats de donner plus de chair à leurs propositions. Le futur candidat Macron fera certainement quelques « propositions chocs», sous la commode ombrelle de la souveraineté alimentaire tout en essayant de surprendre par rapport à ses deux propositions phares de 2017 : la séparation vente-conseil des produits phytos et la loi Egalim sur les prix agricoles dont les bilans sont jusqu’à présent assez mitigés.
Jean-Marie Séronie
Agroéconomiste indépendant
Secrétaire de la section économie et politique de l’Académie d’Agriculture
Sur la photo: Lors de l’un de ses passages au Québec, Jean-Marie Séronie rencontrait Jean Pronovost dans le cadre d’une émission pour LVATV