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L’huile de palme de retour dans la loupe médiatique

Lors de la 26e édition du Congrès international francophone à Paris La Villette les 7 et 8 décembre derniers, des chercheurs français et sénégalais, dans le cadre des journées des 3 R (Rencontres, Recherches, Ruminants) présentées par l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique)  et par l’Institut de l’élevage Idèle, ont ramené le sujet de l’huile de palme que l’on retrouve parfois dans le lait dans l’actualité.

Cash investigation, émission d’enquête journalistique de la chaîne de télévision publique en France (France 2), avait aussi remis au centre des intérêts médiatiques l’huile de palme en octobre dernier en dévoilant notamment le travail des enfants sur les exploitations en produisant. On se souviendra que dans les dernières années l’huile de palme a défrayé les manchettes au Québec et au Canada lorsque nous apprenions que les recettes pour nourrir les vaches laitières au pays étaient en partie composées d’huile de palme.

L’huile de palme sous le tapis?

Si le sujet n’est plus sous le radar, c’est entre autres parce que Les Producteurs laitiers du Québec (PLQ) ont suite à cette séquence dévastatrice pour l’image du lait au Québec et au Canada, communiquaient le 24 février 2021 sur le sujet pour éteindre le feu en publiant : « Les Producteurs de lait du Québec demandent aux producteurs de lait de cesser l’utilisation de produits contenant de l’huile de palme ou ses dérivés dans l’alimentation de leurs bovins laitiers. Nous demandons également aux fabricants d’aliments d’ajuster leurs recettes en conséquence et aux conseillers en alimentation d’appuyer nos producteurs dans les changements alimentaires requis. (…) Les Producteurs de lait du Québec prennent le dossier de l’utilisation du sous-produit de l’huile de palme dans l’alimentation de certaines vaches très au sérieux. (…) nous sommes conscients de la préoccupation environnementale liée à la production d’huile de palme. »

Le ‘’Blend’’ au cœur du problème de la récolte du lait local en Afrique

La recherche présentée à Paris en décembre dernier faisait état de l’essor du commerce des mélanges de poudre de lait écrémé et de matières grasses végétales (MGV) entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest. Ce substitut de lait est obtenu par séchage d’un mélange de lait écrémé et de matière grasse végétale et nuit considérablement à la récolte du lait local.

On explique dans le rapport présenté aux journées des 3R, qu’en raison «des tensions qui s’expriment sur les marchés internationaux et de la forte demande locale en matières premières laitières, les importations ouest-africaines de ces ‘’mélanges MGV’’ ont dépassé les achats de poudres de lait».  Le tout lié bien sûr aux variations relatives des prix internationaux des différentes matières grasses utilisées dans l’industrie agroalimentaire.

On constate que les importations provenant de l’Union européenne ont quadruplé depuis les années 2000, pour atteindre 324 000 tonnes en 2019. Ainsi les mélanges MGV représentent aujourd’hui 40% de la valeur totale des importations de produits laitiers dans la région.

Les chercheurs soulignent dans leur rapport que ces substituts de produits laitiers remettent en cause les perspectives de développement de l’élevage local.

L’huile de palme au centre de plusieurs controverses.

Lorsqu’il est question de controverses concernant l’huile de palme, on pense bien sûr à ce que Cash Investigation dévoilait cet automne et au travail des mineurs dans les exploitations. Mais la polémique tient aussi aux pratiques d’étiquetage et de publicité des firmes qui commercialisent les produits à base d’huile de palme. «Alors que ces poudres sont constituées d’environ 30 % d’huile de palme, les informations indiquées sur les emballages donnent lieu à des confusions entre produits laitiers et produits de substitution», de préciser les chercheurs. C’est notamment le cas des produits transformés comme les « yaourts » qui ne mentionnent pas le type de matière première utilisée.

Quels sont les principaux pays exportateurs européens responsables?

«Les cinq premiers pays européens exportateurs de mélanges MGV sont, par ordre décroissant, l’Irlande (42% des volumes européens exportés en 2019), la Pologne (20%), les PaysBas (12%), l’Allemagne (7%) et la France (5%). Depuis la fin des quotas laitiers en 2015, la progression des exportations est surtout le fait de l’Irlande et de la Pologne, deux pays qui ont, en parallèle, enregistré une évolution substantielle de leur production intérieure de lait», souligne le groupe de recherche.

Il est aussi précisé que «parmi les 16 pays de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria, pays qui compte près de 195 millions d’habitants, est le premier importateur de produits laitiers en provenance de l’UE (34% du total), devant le Sénégal (19%), la Côte d’Ivoire (9%), le Mali (7%) et le Ghana (7%). Dans tous les pays, les mélanges MGV occupent une place majoritaire dans les importations».

Pourquoi cette situation?

L’essor des mélanges de poudre de lait écrémé et d’huile de palme en Afrique de l’Ouest tient d’abord à la croissance du marché des produits alimentaires de grande consommation. Avec 400 millions d’habitants, la région connaît une croissance démographique élevée de 2,5 % par an (plus de deux fois la moyenne mondiale qui est de 1,1%). Et il faut savoir que le pouvoir d’achat de la population du continent africain n’est que d’environ de 1 000 US$ PIB/habitant.

Un réel danger pour la collecte locale et la vitalité de l’agriculture locale

Le rapport souligne au final que «L’essor des mélanges de poudre de lait écrémé et d’huile de palme en Afrique de l’Ouest fragilise les récentes dynamiques de collecte. C’est notamment le cas dans les pays sahéliens où le lait est source de revenus pour des millions d’éleveurs».

On comprend alors mieux pourquoi Justin Laramée au cours de sa présentation du docu-théâtre Run de lait en 2022, s’inquiétait quand Agropur, une coopérative laitière du Québec, avouait envoyer son ‘’blend’’ en Afrique.

«À l’heure de la crise mondiale provoquée par la covid-19, nombreux sont les observateurs qui soulignent l’importance, pour les pays, de renforcer leur autonomie alimentaire», écrit le groupe de recherche.

Et pourtant dans la réalité, ajoute-t-il : «Un approvisionnement à bas coût pourrait rester une stratégie privilégiée à court terme, au risque de renforcer l’instabilité en zone rurale, comme on l’observe actuellement au Sahel».

Référence : rapport de recherche intitulé : ‘’ De l’huile de palme dans le lait : comment l’Union européenne renforce sa présence sur le marché laitier Ouest africain en vendant un succédané de poudre de lait’’ par les auteurs : CORNIAUX C. (1), CHATELLIER V. (2), DIA D. (3), DUTEURTRE G. (1) (1) UMR SELMET, MUSE, CIRAD, Baillarguet, 34398 Montpellier (2) UMR SMART-LERECO, INRAE, AgroCampus Ouest, 44300 Nantes (3) BAME, ISRA, Bel Air, Dakar, Sénégal

 

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