OPINION: Un coup de cochon de Radio-Canada

L’émission de La Semaine verte du 14 et 15 octobre dernier nous a fourni un exemple navrant de désinformation et de censure, sinon  d’ignorance.

L’émission était entièrement consacrée à la crise actuelle de l’industrie porcine. Le reportage sur la crise elle-même a été incapable de faire clairement la démarcation entre les producteurs indépendants, parents-pauvres de cette industrie, et la grande majorité de producteurs sous intégration, qui sont réduits au statut de « gardes-cochons » a forfait puisque ceux-ci appartiennent à l’intégrateur, qui possède également les meuneries et les abattoirs, et qui commercialise les viandes, à l’exportation dans une proportion de 70%. Or il se trouve que l’intégrateur qui exerce un quasi monopole dans l’industrie en question et empoche les profits et les aides publiques est nul autre qu’Olymel, une coopérative de producteurs associée à Sollio, l’ancienne Coop fédérée, dans la mouvance de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

On m’avait demandé d’intervenir sur l’impact environnemental qu’a eu le développement massif de l’industrie porcine dans les années 1990-2000. L’entrevue d’une couple d’heure s’est déroulée chez moi, à la satisfaction de l’équipe de La Semaine verte : j’ai tenté d’y expliquer l’effet désastreux qu’ont eu sur les cours d’eau, les sols et les campagnes ces élevages intensifs automatisés, les quantités astronomiques de fumier liquide produites et épandues par chaque porcherie de 8 000 porcs par année (soit l’équivalent de 1500 vaches),  le développement des monocultures de maïs et soya qui s’en est suivi pour nourrir 8 millions de porcs, l’absence de règlementation environnementale efficace pour limiter les dégâts, notamment l’inefficacité des Plans agroenvironnentaux de fertilisation (PAEF) et de protection des rives et des  milieux boisés et humides, le drainage souterrain rejeté directement dans les cours d’eau, etc. Tout cela subventionné à coup de centaines de millions par année par la Financière agricole, en réalité les fonds publics.

De tout cela, il n’est à peu près rien resté dans l’émission diffusée, si ce n’est deux ou trois phrases tronquées, hors contexte et sans les explications. Au contraire, on a préféré donner la parole à des producteurs dévoués à l’UPA  et à Olymel qui nous ont expliqué que tout est aujourd’hui parfaitement sous contrôle; à des fonctionnaires terrifiés du ministère de l’environnement, honteux de devoir admettre que la qualité des cours d’eau ne s’est  guère améliorée; et à un ministre de l’agriculture qui refuse de se mêler d’une soi-disant entreprise privée. Un des intervenants a même dit que je n’avais pas tort quand je disais qu’on disposait du lisier n’importe comment  mais que les choses ont changé depuis: étrange! d’où tient-il ça, car mes propos à ce sujet n’ont pas été reproduits dans l’émission?

Pas un mot de ces déserts de maïs et de soya qui tuent à petit feu les meilleurs sols du Québec pour nourrir des cochons qu’on exporte aux Chinois, qui, eux, en veulent de moins en moins, car ils viennent d’inventer les porcheries à 20 étages! Quand l’UPA nous implore de protéger notre garde-manger, on repassera.

Comment ne pas  voir dans cet aplatventrisme –à moins que ce ne soit de l’ignorance-  l’effet du poids de l’industrie porcine et de l’UPA auxquelles il serait dangereux de déplaire. Le lobby du secteur agricole au Québec, contrairement à celui des autres secteurs économiques, est particulier : il est monopolistique  et monolithique : un état dans l’état. L’UPA, syndicat unique obligatoire, et ses fédérations, investissent, ne l’oublions pas, des centaines de millions en publicité dans les médias (lait, porc, poulet, fromages, BMR, etc.). Les dirigeants de Radio-Canada, notamment ceux de La Semaine verte, ne sont pas sans le savoir. C’est la vérité qui en prend un coup…et les Don Quichotte perdus en région de mon genre!

Roméo Bouchard

 

 

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