On ne peut nier que pour le secteur agricole québécois l’année 2023 a été plutôt mauvaise. Excès d’eau chez les producteurs maraîchers, sécheresse chez les producteurs de grain et de foin, faible récolte de sirop d’érable. Les indemnités en Assurance-récolte ne mentent pas : 113 millions $ dont des montants records en grandes cultures et en acériculture. Signe sans doute qu’il faut déjà se préparer à un climat plus imprévisible à l’avenir.
Qui qu’il en soit, et sans vouloir nier l’effet de cette mauvaise conjoncture auprès des entreprises agricoles touchées, tout cela ne fait pas une crise touchant l’ensemble du secteur agricole au Québec et qui justifierait un saupoudrage de paiements à coût exorbitant et à effet nul comme le souhaiteraient celles et ceux qui crient ‘au loup’ et qui rêvent d’une parade de tracteurs sur la Grande-Allée comme nos cousins français.
N’oublions pas que notre agriculture est déjà une des mieux soutenues dans le monde occidental et la mieux soutenue en Amérique du Nord. En fait, 70% des revenus agricoles sont assurés soit par la gestion de l’offre qui touche les producteurs de lait, d’œufs et de volaille alors que la plupart des autres productions (porc, céréales, bœuf, agneau) bénéficient de programmes d’assurance-revenus. S’il y a des lacunes à combler et c’est le cas, ciblons ces dernières par des mesures durables. D’ailleurs, plus tôt cette année, le Ministre de l’agriculture André Lamontagne annonçait le lancement d’un chantier pour revoir le programme d’Assurance récolte en fonction de la nouvelle réalité climatique. À cet égard, un volet collectif assurance tout-risque pourrait être une voie à considérer. En ce qui concerne les programmes de soutien du revenu, ils n’épaulent pas comme il serait nécessaire de le faire les jeunes pousses, les agriculteurs et agricultrices de proximité, les fermes bio et les entreprises non-traditionnelles. Mais ce n’est pas de cela dont on parle actuellement.
Dans les faits, s’il y a un enjeu dans le secteur agricole au Québec dont on ne parle pas et qui pourrait ressembler à une crise, c’est celui de l’endettement de nos fermes. Notre ferme moyenne est, en effet, beaucoup plus endettée que toute comparable en Amérique du Nord. Ce taux d’endettement est de 27% ici comparativement à 17% en Ontario et dans le reste du Canada et près de 10% aux États-Unis. Cet écart est considérable et pèse lourd dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés comme c’est le cas actuellement. Compte tenu de la valeur moyenne de nos fermes (3 millions$) et encore davantage dans des secteurs comme le lait (5 millions$) un tel écart par rapport à nos voisins immédiats signifie une dette supplémentaire de 300,000$ à 500,000$ par exploitation., Ce pourrait-il que ce facteur joue sur le moral des producteurs et productrices agricoles actuellement??
Il s’agit en quelque sorte de l’éléphant dans la pièce et il est connu et ignoré depuis longtemps. Tout le monde dans le milieu sait à quel point il est facile d’emprunter et de s’endetter en agriculture. Nos programmes de soutien qui coupent les signaux du marché en sont largement responsables. Mais tout appel à une révision a été ignoré à ce jour.
Michel Saint-Pierre
Co-président, Institut Jean-Garon