
« Nous ne sommes plus dans un contexte de continuité où il suffit de mettre plus d’argent dans les mêmes politiques qu’il y a cinquante ans, comme le demande l’UPA, mais dans un contexte de rupture »
Michel Saint-Pierre, co-président de l’Institut Jean-Garon
« On a donné à l’agriculture québécoise une sécurité artificielle qui en a fait la championne toute catégorie de l’endettement mais dernière de classe en productivité et personne ne veut en parler »
Guy Debailleul, co-président de l’Institut Jean-Garon
Dur constat au lendemain d’un sommet des décideurs de l’agroalimentaire pour convenir des objectifs de la politique bioalimentaire québécoise des dix prochaines années (2025-2035) et d’une relance des démarches de l’UPA où pointent des revendications de soutiens financiers supplémentaires.
Dans une lettre qu’il a fait parvenir à M. André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, l’Institut Jean-Garon s’inquiète des doléances actuelles alors qu’il y a péril en la demeure ne serait-ce qu’en regard de la crise tarifaire et des exigences américaines qui s’annoncent.
« Nous ne sommes plus dans un contexte de continuité, où il suffit de mettre plus d’argent pour continuer à faire la même chose, mais dans un contexte de rupture où il faut questionner les façons de soutenir notre agriculture mises en place il y a une cinquantaine d’années et qui ont très peu évolué depuis », estime l’Institut.
Une productivité en berne
Si tous conviennent que l’avenir repose sur l’accroissement de la productivité qui nécessite dans plusieurs secteurs des investissements et de l’innovation, l’Institut explique qu’en agriculture investissement ne se traduit pas en productivité: entre 2015 et 2022, nos investissements en agriculture se sont accrus de plus de 100%, de très loin le ratio le plus élevé au Canada (Ontario : 30 %, Saskatchewan : -20%). Dans la même période, la productivité a diminué au Québec alors qu’elle s’est accrue partout ailleurs.
Quel a été l’impact de ces investissements massifs? Ils ont accru l’endettement des fermes les rendant plus fragiles. Alors que l’endettement des entreprises agricoles est en baisse au Canada et stable en Ontario, elle ne cesse d’augmenter au Québec sans se traduire en productivité comme l’a montré le tableau précédent.
Un regard lucide requis
L’Institut reconnaît l’importance de l’exercice de planification sur dix ans de la politique bioalimentaire québécoise mais cela ne doit pas escamoter l’urgence de poser un regard lucide sur nos politiques de soutien à l’agriculture et leur inadéquation aux défis de l’heure.
Depuis la grande réflexion menée par la Commission Pronovost, en 2008, qui en arrivait déjà à ces constats, l’Institut a fait son leitmotiv de la nécessité d’une refondation de ces programmes, les plus généreux au Canada mais aussi probablement les moins bien adaptés aux défis actuels car ils maintiennent les agriculteurs et agricultrices dans une illusion de sécurité actuellement en danger.
Dans un essai publié récemment, « Notre agriculture à la dérive », des membres de l’Institut exposent les principales failles de ces politiques tout en soulignant l’incapacité du secteur à ne serait-ce qu’à envisager leur remise en question. Le ton consensuel des discussions sur la politique bioalimentaire et le cri au secours lancé le lendemain par ces mêmes décideurs n’augurent rien de bon pour l’avenir.