Équilibre difficile:Droit acquis vs Pouvoir municipal

En 2013, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision dans le litige opposant la ville de Terrebonne à M. René Bibeau[1]. Tout en explorant la délicate question des droits acquis en matière de zonage municipal, cette affaire met en lumière les complexités inhérentes à l’évolution des règlements municipaux et leur impact sur les usages établis de longue date, souvent ancrés dans le temps et les pratiques locales.

Contexte de l’affaire

René Bibeau, le défendeur, a acquis plusieurs lots contigus sur le territoire de Terrebonne alors qu’ils étaient classés en zone agricole. Dès 1976, il y élevait des chevaux et entreposait le matériel nécessaire, sans toutefois solliciter de permis d’occupation, une exigence de la réglementation municipale de l’époque.

Au fil des ans, la ville de Terrebonne a modifié ses règlements de zonage, interdisant désormais la présence de chevaux sur ces terrains. La municipalité a donc entrepris des démarches pour faire cesser l’usage des lots par M. Bibeau, afin de le contraindre à se conformer à la nouvelle réglementation.

Bibeau a contesté ces exigences, invoquant ses droits acquis, arguant que l’usage qu’il faisait de ses lots était protégé par le droit. La ville de Terrebonne a répliqué que, pour être reconnu, un usage protégé par des droits acquis devait avoir fait l’objet d’un permis. De plus, elle a soutenu que le déplacement des chevaux au fil des ans avait entraîné la perte de ces droits.

Décision de la Cour supérieure

Le juge de première instance a tranché en faveur de Bibeau, estimant qu’il bénéficiait de droits acquis. Il a souligné que l’usage était conforme à la réglementation initiale, la garde de chevaux étant autorisée en zone agricole, et qu’il n’y avait pas eu d’interruption significative de cet usage[2].

Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a confirmé la décision, réaffirmant que l’usage était conforme à la réglementation en vigueur au moment de son implantation en 1976. Bien qu’un permis d’occupation ait été requis à l’époque, le défaut de l’obtenir ne privait pas automatiquement Bibeau de ses droits acquis. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a mis en balance l’importance du respect des règlements municipaux et la nécessité de protéger les usages établis de bonne foi.

Points clés à retenir

Cette décision rappelle que les droits acquis constituent une exception au principe de conformité aux règlements de zonage. Pour bénéficier de ces droits, il faut démontrer que l’usage était conforme à la réglementation au moment de son implantation et qu’il n’a pas été interrompu de manière significative. L’absence de permis n’est pas toujours un obstacle insurmontable, les tribunaux devant tenir compte des circonstances particulières de chaque cas pour assurer un équilibre entre le respect des règlements municipaux et la protection des droits acquis. En ce sens, les tribunaux ont un rôle crucial à jouer pour concilier les impératifs de l’urbanisme moderne et la sauvegarde des droits individuels.

[1] Terrebonne (Ville de) c. Bibeau, 2013 QCCA 587.

[2] Terrebonne (Ville de) c. Bibeau, 2011 QCCS 2729.

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