L’UPA, comme l’Église catholique, est une grande institution qui, dans son domaine, a eu une influence que je qualifierais de civilisatrice. Mais, comme l’Église catholique, sa prétention d’être Une, Sainte, Syndicale et Apostolique, est dépassée.Autrement dit, son monopole sur la représentation syndicale et la perception des cotisations n’a plus sa raison d’être et, comme l’église, l’UPA a besoin d’un grand réformateur.
L’UPA, et son ancêtre l’Union des cultivateurs catholiques (UCC), ont effectivement contribué grandement à l’évolution du Québec vers une société plus juste et civilisée, comme le mouvement coopératif dont elle fut toujours la sœur, sœur souvent ennemie, mais sœur quand même.
Dans le tourment des crises qui ont ravagé le Québec rural de la première moitié du 20e siècle, le regroupement de ceux qu’on appelait les cultivateurs au sein d’une union forte a aidé ce Québec rural à sortir d’un sous-développement larvé et à accéder à la modernité.
Même au cours des années 1970, les grandes avancées que furent l’émergence de la gestion de l’offre, la protection du territoire agricole et la stabilisation des revenus ont été grandement facilitées parce que le monde agricole parlait d’une seule voix. Cela aurait-il pu se faire dans la pluralité des instances? Sans doute pas aussi rapidement ni de façon aussi décisive.
Qu’en est-il aujourd’hui? Comme l’Église catholique devenue toute puissante a elle-même contredit son message d’amour en massacrant pendant des siècles ceux qui n’embrassaient pas sa foi, l’UPA toute puissante contredit sa légitimité démocratique en niant la liberté d’association de ses membres.
Surtout, le développement de l’agriculture, que l’UPA a elle-même favorisé, rend de plus en plus obsolète son rêve d’hégémonie, comme le développement des connaissances a miné de l’intérieur le dogme de l’infaillibilité de l’église.
En 1972, année où le monopole syndical de l’UPA a été consacré dans la loi, l’agriculture québécoise était beaucoup plus monolithique et pouvait plus facilement s’accommoder d’un modèle unique. Or, il y a déjà dix ans, le Rapport Pronovost soulignait l’émergence de nouveaux modèles et d’une multitude de nouvelles productions et, conséquemment, l’impossibilité de faire entrer tout cela dans un système de représentation unique. Aujourd’hui, l’agriculture est encore beaucoup plus « plurielle » et les coutures du corset craquent de partout.
Puissance et argent
De tout temps, les théologiens ont trouvé de bons arguments pour justifier les anathèmes, les excommunications et, même, les bûchers de l’inquisition. De même, il est troublant d’entendre les défenseurs du monopole syndical évoquer, pour le justifier, l’exception agricole, cette faiblesse inhérente au producteur individuel devant les forces du marché.
Or, le droit des producteurs de s’unir dans un plan conjoint pour accroître leur force face au marché n’a rien à voir avec le monopole syndical. Les plans conjoints et, conséquemment, la gestion de l’offre se porteraient même mieux si la pluralité de l’agriculture moderne se reflétait davantage dans la gouvernance de ces institutions trop contrôlées par le syndicat unique.
Non, la soif de puissance de l’UPA n’a pas ses racines dans la défense de la mise en marché collective des produits agricoles, mais, beaucoup plus prosaïquement, dans la défense de ses revenus. Laurent Lessard, pendant le deuxième de ses trois mandats de ministre de l’Agriculture, l’a lui-même reconnu en 2011 en s’opposant au pluralisme syndical « parce que tout le monde voudra avoir sa cotisation et ce sera autant d’argent retiré à l’UPA »[1].
La puissance et l’argent sont deux forces qui s’alimentent et ont besoin l’une de l’autre. Dans sa longue histoire, l’église l’a souvent démontré. Aujourd’hui, il y a un pape François qui veut la ramener à ses origines plus humbles, quitte à laisser plus de place à la pluralité. La question qui se pose est : y aura-t-il un pape François au sein de l’UPA?
[1] Radio-Canada, 29 septembre 2011