«Nous avons dénoncé les impasses en cas d’arrêt pur et simple du glyphosate» – Christiane Lambert, présidente FNSEA

Exclusif : La Vie agricole a obtenu une entrevue avec la présidente du syndicat agricole majoritaire en France, la FNSEA ( Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Christiane Lambert, la première présidente à vie du syndicat agricole créé il y a 71 ans, nous a parlé en toute liberté de sa vision de l’agriculture outre-Atlantique et ici. Nous avons abordé tous les thèmes sans tabous : le syndicalisme agricole, la situation des productions par filière, l’environnement et le glyphosate, la qualité de vie des agriculteurs, les défis de demain, les terres agricoles et le type de personnalité qu’il faut être pour bien défendre les producteurs. Christiane Lambert est à la tête du syndicat agricole le plus important de France, elle est un peu ce qu'est Marcel Groleau, pour le Québec.

Le syndicalisme agricole

Yannick Patelli : Vous semblez vouloir défendre la diversité de l’agriculture française. Êtes-vous à l’aise qu’en France certaines pratiques agricoles soient défendues par d’autres syndicats que le vôtre ?

Christiane Lambert : La FNSEA a été confirmée comme syndicat majoritaire aux élections Chambres d’agriculture de janvier et a même amélioré son score avec plus de 55% des voix. Cela conforte notre positionnement de syndicalisme de solutions pour tous les agriculteurs et tous les systèmes de production, sans dogmatisme ni exclusion.

Yannick Patelli : Vu que le pluralisme agricole est une réalité en France, les producteurs réussissent-ils sur certains grands enjeux à faire consensus avec les autres syndicats qui représentent eux aussi des producteurs ?

Christiane Lambert : La défense de positions communes est rendue difficile par le positionnement souvent dogmatique des autres syndicats qui excluent de fait une partie des producteurs. Nous pouvons bien sûr converger sur certains sujets, mais pour la FNSEA le pragmatisme doit toujours l’emporter sur l’idéologie.

Les productions par filière

Yannick Patelli : Dans le secteur du lait, la France n’a plus de quotas. Regrettez-vous cette époque ou considérez-vous que le marché du lait a plus d’opportunités aujourd’hui ?

Christiane Lambert : L’augmentation de la demande mondiale de produits laitiers nous permet de rester optimistes pour l’avenir de la production française et européenne. Mais c’est la question de la volatilité des prix, en l’absence d’outils de régulation, qui inquiète à juste titre les éleveurs. C’est pourquoi, nous devons à la fois conserver des outils de gestion de crise au niveau européen, et développer une contractualisation équilibrée entre des groupes de producteurs et les entreprises, avec des notions de durée, de volume et de prix.

Yannick Patelli : Le porc au Canada n’existe presque plus en termes de ferme familiale tant l’intégration a pris la place. Quelle est la réalité française ?

Christiane Lambert : L’intégration dans le secteur porcin ne se développe pas en France. C’est d’abord une question culturelle, car les éleveurs français souhaitent dans leur grande majorité rester maîtres des décisions stratégiques de l’exploitation, en termes techniques et économiques. Notre système d’élevage qui place l’éleveur au cœur du métier lui permettant de gérer son exploitation en chef d’entreprise est un système performant. Par contre, se pose la question de la résilience face à la volatilité des prix, la filière doit clairement améliorer sa compétitivité, en particulier au niveau de l’abattage-découpe.

Environnement

Yannick Patelli : L’arrêt du glyphosate est-il à vos yeux nécessaire au jour d’aujourd’hui et est-il envisageable comme le dit le président Macron de ne plus l’utiliser d’ici 3 ans ?

Christiane Lambert :. Nous avons dénoncé les impasses en cas d’arrêt pur et simple du glyphosate. Le travail a porté ses fruits. Le discours du gouvernement se veut plus pragmatique, du moins en apparence. M. Macron l’a dit lui-même : « interdire complètement le glyphosate est impossible à moins de tuer certaines filières ». Ceci étant, la profession doit faire mouvement sur la réduction des usages. La FNSEA a entrainé 42 partenaires dans un engagement de progrès : le Contrat de solutions pour une trajectoire de progrès pour la protection des plantes (https://www.fnsea.fr/nos-belles-initiatives/contrat-de-solutions/) que le gouvernement et l’INRA ont salué et cosigné. Il nous faut des calendriers et accompagnements appropriés.

Yannick Patelli : Quels impacts une agriculture française sans glyphosate entrainerait-elle avec l’agriculture canadienne qui n’envisage pas la fin du glyphosate au regard de la réciprocité des normes ?

Christiane Lambert : Les distorsions de concurrence sont un réel problème au regard de la compétitivité de notre agriculture. C’est pourquoi, les normes de production ont été au cœur des débats sur le CETA. Les accords commerciaux seront d’autant moins acceptables que la symétrie des normes n’est pas respectée. Ce sujet gagne du terrain au niveau européen et nous avons obtenu l’interdiction d’importer des produits animaux pour lesquels des antibiotiques facteurs de croissance ou réservés à la médecine humaine ont été utilisés.

Yannick Patelli : Vous disiez à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV récemment : «On a réduit l’usage des médicaments, des antibiotiques. Moins de 36% en 5 ans et personne n’en parle». Ne voit-on que les aspects négatifs lorsqu’il est question d’agriculture ?

Christiane Lambert : La FNSEA a été la première à dénoncer cet « agribashing » permanent qui consiste à ne pas reconnaître les efforts réalisés par les agriculteurs français malgré des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. C’est un véritable paradoxe alors que la France conserve la palme du système alimentaire le plus durable au monde selon The Economist Intelligence Unit. Notre devoir est de rétablir les vérités, démonter les fake-news qui envahissent les réseaux sociaux. C’est toujours plus facile d’agiter les peurs surtout dans un pays très attaché à son alimentation.

Yannick Patelli : Quand le président Macron se dit « patriote de l’agriculture» et demande aux agriculteurs de devenir les premiers défenseurs de la transition écologique, sentez-vous que le gouvernement accompagne les producteurs dans cette ère de changement et si oui comment ?

Christiane Lambert : Les transformations sont à l’œuvre dans les exploitations et concernent tous les modèles agricoles. La question principale est celle de la trajectoire que l’on définit et de l’accompagnement qui doit être calibré en conséquence. Nous voulons encore croire que le gouvernement privilégiera le progrès à la norme, et accompagnera les investissements nécessaires. Mais il est temps de passer des paroles aux actes !

Qualité de vie des producteurs

Yannick Patelli : Revaloriser les revenus des producteurs comme vous le souhaitez en France est-il possible dans le système actuel ?

Christiane Lambert : Oui c’est possible. Là aussi les transformations sont à l’œuvre. Nous avons obtenu dans le cadre de la loi sur l’alimentation adoptée fin 2018 les outils juridiques nécessaires à la construction d’un prix en marche avant, c’est-à-dire à partir des coûts de production des agriculteurs pour les marchés intérieurs. Mais comme sur l’environnement, il n’y aura pas de miracle : cela implique un engagement des acteurs à contractualiser dans des démarches gagnant-gagnant.

Yannick Patelli : Le ruissellement dont est adepte le président Macron est-il une réalité en agriculture ou craignez-vous que seuls les intermédiaires bénéficient d’une hausse des prix à la consommation ?

Christiane Lambert : Cette métaphore du ruissellement est trompeuse, car elle porte à croire que le retour du prix au producteur ne se fait que de l’aval vers l’amont. Nous, nous voulons croire, et nous avons des exemples de réalisation concrète, que la contractualisation va permettre de mieux valoriser nos productions et de répercuter nos charges liées à la qualité de nos produits, de l’amont vers l’aval. Il ne s’agit pas de se déconnecter du marché mais « plus vert c’est plus cher » !

Les défis de demain

Yannick Patelli : Le véganisme et le spécisme prennent de plus en plus d’espace médiatique aussi en Amérique du Nord. Quelle est la lutte réaliste qu’un syndicat agricole peut faire pour sauver les filières de la viande face à ces nouvelles tendances ?

Christiane Lambert : Comme le font les agriculteurs Canadiens, nous communiquons plus sur les bonnes pratiques mises en œuvre par les éleveurs et leur engagement dans l’amélioration du bien-être animal, auprès des décideurs, des citoyens et des consommateurs. À titre d’exemple, nous avons élaboré un recueil de toutes les actions mises en œuvre dans tous les secteurs de l’élevage. Il faut être transparents sur nos pratiques, ouvrir nos élevages, participer aux débats et être force de propositions. Redonner de la fierté au métier d’éleveur doit être un des objectifs d’un syndicat agricole. Nous pouvons réussir, car la grande majorité de nos concitoyens mangent de tout ! Un syndicat doit aussi défendre les éleveurs sur le plan juridique par rapport à des attaques inacceptables, des messages calomnieux ou des intrusions dans les élevages. La FNSEA, par son expertise, permet d’apporter cet appui juridique.

Les terres agricoles

Yannick Patelli : Quel est le type de protection existe-t-il en France sur les terres agricoles pour qu’elles restent dans le domaine agricole et quels mécanismes existent-ils pour aider la relève ?

Christiane Lambert : L’artificialisation est le danger principal pesant sur le foncier agricole. La commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers et les documents d’urbanisme contribuent à protéger les terres pour faciliter l’installation d’agriculteurs. Il faut utiliser les outils de protection existants et faciliter leur mise en œuvre.

Yannick Patelli : La propriété des terres est-elle dans les mains des producteurs ou de propriétaires terriens n’ayant pas de lien avec le monde agricole ? On dit souvent que les producteurs français sont locataires : est-ce le cas ?

Christiane Lambert : Les propriétaires ont des profils variés : exploitants (environ 25% des surfaces), anciens exploitants ou personnes extérieures au monde agricole. 75% environ des terres agricoles sont en locations, régies par le statut du fermage, auquel il n’est pas possible de déroger, qui encadre le prix, la durée, etc. C’est un gage de sécurité pour l’exploitant.

Yannick Patelli : Les terres agricoles sont-elles régulièrement menacées par des investisseurs de l’hexagone ou étrangers ? Qui sont-ils ?

Christiane Lambert : L’accaparement des terres agricoles est un risque majeur : il faut éviter que la propriété des terres fasse l’objet d’une concentration excessive, quelle que soit la nationalité des détenteurs. La majorité des acquisitions est le fait d’investisseurs français et européens. La régulation du marché des terres doit se faire, quelle que soit l’origine de l’investisseur. Une Loi foncière est en préparation.

Personnalité

Yannick Patelli : Êtes-vous conciliante ou intransigeante face à un ministre de l’Agriculture ? Quelle est la bonne attitude à développer selon vous pour s’assurer de faire avancer la place de l’agriculture dans la société civile tout en gardant une écoute attentive des décideurs ?

Christiane Lambert : Je suis avant tout exigeante, avec le ministre comme avec l’ensemble des décideurs. Être à la tête du syndicat majoritaire impose de trouver les solutions adaptées pour que tous les agriculteurs, sans exclusion, puissent vivre correctement de leur métier tout en relevant les multiples défis qui se présentent à eux. Il faut expliquer aux décideurs nos engagements pour répondre aux attentes de la société, et les convaincre du bien-fondé de nos revendications. Toutefois, les rapports de force existent avec des groupes de pression qui ont une réelle influence. La fermeté est donc aussi nécessaire. Il faut aussi agir en Think tank, pour trouver des relais dans la société.

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