Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) s’est déclaré contre la proposition de Santé Canada, qui envisageait d’autoriser la hausse de résidus de certains pesticides dans plusieurs denrées alimentaires. Dans une lettre adressée à Santé Canada – que La Presse a obtenue –, le sous-ministre du MAPAQ, René Dufresne, se prononçait contre la hausse des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides. Il estimait cet été que cette démarche allait à l’encontre de la volonté du gouvernement québécois de réduire l’utilisation des pesticides. Cet été aussi des groupes écologistes sont montés au créneau contre l’ARLA (L’agence de réglementation de la lutte antiparasitaire) et la ministre Bibeau a joué de communications pour rassurer les consommateurs. Au final le gouvernement canadien a repoussé toute décision après les élections fédérales qui débutent comme un pavé dans la mare à ne pas trouver sur son chemin au cours des prochaines semaines.
Le MAPAQ dans le camp des anti-pesticides
« Le MAPAQ souhaite vous faire part de ses préoccupations et de son désaccord », écrivait d’entrée de jeu le sous-ministre Dufresne. La missive était adressée au sous-ministre de Santé Canada, Stephen Lucas. « La proposition d’augmenter les LMR de certains pesticides envoie aux agriculteurs et intervenants du secteur agroalimentaire le message que ces produits présentent peu de risques pour la santé et l’environnement. Cette perception vient nuire aux efforts que nous déployons pour en réduire l’utilisation. Dans ce contexte, il serait souhaitable que les LMR ne soient pas augmentées », poursuivait la lettre.
Selon l’origine des sources, il est difficile de savoir ce qu’il en retourne réellement. La lecture que chacun fait sur l’utilisation des pesticides est bien différente selon les nombreux acteurs qui s’expriment sur le sujet.
Rappelons qu’à l’origine les intentions de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de proposer d’augmenter la limite maximale de résidus (LMR) de glyphosate permise dans plusieurs aliments de la famille des haricots et des pois serait en lien avec des normes de réciprocités avec les produits importés.
Selon le MAPAQ, la démarche de Santé Canada est « à contre-courant de la tendance mondiale » et de la position du gouvernement québécois d’« encourager des approches concertées pour protéger la santé et l’environnement par la mise en œuvre de pratiques agricoles responsables et durables » mais s’il peut influencer, le MAPAQ n’est pas le décideur nous rappellent plusieurs intervenants bien impliqués dans le domaine agricole.
Le débat sur les pesticides sur la glace pendant les élections
La ministre fédérale de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, a indiqué lors de la crise médiatique sur les pesticides autour du sujet que l’ARLA avait l’obligation légale de procéder à l’analyse des résidus de pesticides sur les aliments lorsqu’elle reçoit une demande, puis d’effectuer des recommandations. « C’est ce qui est en cours, indiquait-elle. Pour établir ses recommandations, l’Agence étudie les données scientifiques et consulte le public. J’encourage vivement les gens à faire leurs commentaires à l’ARLA. Je rappelle qu’aucune décision n’a été prise en ce moment. »
Par la suite le gouvernement libéral a annoncé avoir repoussé le tout au printemps 2022 : «Aucune augmentation des LMR n’aura lieu avant au moins le printemps 2022.»
Toutefois quelques jours avant le gouvernement disait : «La réglementation actuelle assure une protection solide de la santé humaine et de l’environnement. Toutefois, l’examen de certaines de ses dispositions est actuellement justifié pour s’assurer que le processus d’homologation des pesticides répond aux attentes de la population canadienne en matière de transparence et de durabilité».
L’OAQ veut plus de transparence
De son côté, l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ) s’était dit surpris dans un premier temps par la proposition de Santé Canada et estimait que le gouvernement fédéral devait faire preuve de plus de transparence touchant les processus de consultation sur les pesticides. Il dénonçait le manque de clarté des documents relatifs à la proposition, afin de faciliter la compréhension de l’information par les citoyens.
L’Ordre des agronomes du Québec a par la suite salué la décision prise par Santé Canada de suspendre l’ensemble des projets en cours sur les hausses de résidus de certains pesticides dans plusieurs aliments : «Cette décision répond à la préoccupation de l’Ordre quant à la transparence des processus de consultation publique et sur le manque de recherche approfondie et documentée sur les effets à long terme de ces produits sur la santé humaine, animale et environnementale. L’entrée en vigueur des hausses des limites maximales de résidus (LMR) de glyphosate dans les cultures de noix, de lentilles ou de germe de blé, par exemple, aurait fait du Canada un des pays les plus permissifs après la Chine et les États-Unis quant aux seuils de résidus de glyphosate présents dans des aliments, alors que les aliments importés au Canada respectent des seuils minimaux imposés par le Canada », a fait valoir Martine Giguère, agr., présidente de l’Ordre des agronomes du Québec.
Louis Robert dans l’exagération, l’Institut Jean-Garon dans la modération!
L’agronome et lanceur d’alerte Louis Robert s’est clairement prononcé contre la proposition de Santé Canada : « Hausser les limites de glyphosate dans les légumineuses va à contresens de la tendance lourde actuellement observée en alimentation. ». Il a déploré dans une lettre du quotidien Le Devoir, la réflexion en cours sur «deux niveaux d’empoisonnement».
On se rappellera que l’Institut Jean-Garon lors de la commission sur les pesticides en 2019 prêchait pour reconnaitre les pesticides comme un médicament pour nos cultures, à user avec modération.
Charlebois parle d’un débat populiste et chaotique
Pour le chercheur, Sylvain Charlebois : «Le débat sur le glyphosate au Canada et dans le monde est à la fois populiste, chaotique, politique et franchement troublant. De nombreux groupes instrumentalisent la recherche scientifique pour faire valoir l’un ou l’autre des deux points suivants, soit soutenir l’utilisation du produit chimique bien connu, popularisé sous le nom de Round-Up, ou le déclarer comme cancérigène et toxique. Certains chercheurs et groupes traitent malheureusement la science comme un buffet, sélectionnant soigneusement la recherche pour s’adapter à un certain récit. Cette situation désolante perdure depuis des années. (… ) La vérité qui dérange à propos du glyphosate est de constater qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un poison, à moins qu’il ne soit utilisé de manière irresponsable. La plupart des agriculteurs adhèrent à des pratiques responsables et durables basées sur une agriculture de précision, où la surexploitation devient à la fois coûteuse et inutile.»
Des pesticides utiles pour Turmine et Petelle
Pour notre chroniqueur Yan Turmine : « De penser que l’on pourrait se passer de pesticides demain matin est une folle utopie.»
Pour Pierre Petelle, président de CropLife : «Les Limites maximales de résidus, LMR, pour chaque combinaison pesticide-culture sont fixées à des niveaux bien inférieurs à la quantité qui pourrait présenter un risque pour la santé humaine.»
Les Céréaliers du Québec, une voix à écouter plus
Des producteurs de grandes cultures et administrateurs des Céréaliers du Québec rencontrés par La Vie agricole se disent en faveur de la transparence, mais estiment aussi que les pesticides restent utiles. «Je suis en faveur de la transparence», nous a confié Louis A.Joyal, producteur de grandes cultures en bio et premier président des Céréaliers du Québec, mais « Le glyphosate est un produit qui nous permet de diminuer d’autres produits bien pires que lui!», a ajouté Danny Messier, président actuel des Céréaliers du Québec et producteur de blé raisonné.
«Les pesticides on en utilise le moins possible, c’est coûteux», de conclure Clément Leblanc, producteur de blé conventionnel.