LA DEMANDE D’ORDONNANCE POUR CESSATION D’USAGE DÉROGATOIRE

Par Me Maxime Lauziere

Bien qu’un propriétaire foncier bénéficie certes d’un éventail de droits étendu sur sa propriété, l’exercice de ces droits n’est pas absolu et ne se fait pas sans contrainte à plusieurs égards. Plus spécifiquement en ce qui a trait au domaine municipal, rappelons simplement que les municipalités possèdent en effet de larges pouvoirs en matière de gestion de leur territoire leur permettant d’encadrer l’exercice du droit de propriété de leurs citoyens. Les municipalités puisent leurs pouvoirs dans de nombreuses lois, dont la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après la « LAU »), laquelle permet aux municipalités d’adopter une pluralité de règlements, tels que les règlements de zonage, de construction et de lotissement pour n’en nommer que quelques-uns.

Les municipalités bénéficient par ailleurs de différents moyens afin de faire respecter leur règlementation par leurs citoyens, notamment le recours à l’article 227 de la LAU qui prévoit qu’une municipalité peut, par voie d’injonction, demander à la Cour supérieure de rendre une ordonnance afin de faire cesser l’utilisation du sol ou d’une construction qui serait incompatible avec un règlement municipal. Qui plus est, en vertu de ce même article, la Cour peut également ordonner l’exécution de travaux permettant de rendre conforme un usage ou une construction dérogatoire. Il faut cependant souligner que les tribunaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’imposition d’une ordonnance de cessation d’un usage ou d’une construction dérogatoire qui leur permet de pallier aux injustices qui pourraient résulter d’une application stricte, rigoureuse et aveugle de la règlementation municipale en vigueur.

Ainsi, la jurisprudence contient des exemples où les tribunaux ont usé de cette discrétion et se sont abstenus d’intervenir et de sanctionner une contravention à la règlementation municipale compte tenu des circonstances particulières et exceptionnelles de l’affaire. À cet égard, en 2003, à l’occasion d’une décision importante dans l’affaire Montréal (Ville) c. Chapdelaine 1 , la Cour d’appel est venue établir les critères pertinents applicables lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire relativement au choix d’imposer une ordonnance en vertu de l’article 227 de la LAU.

Sans élaborer une théorie générale sur le sujet, la Cour d’appel retient que les tribunaux pourront refuser à une municipalité une telle demande d’ordonnance si l’ensemble des sept éléments suivants sont établis : (1) Il doit s’agir de circonstances exceptionnelles et rarissimes; (2) L’intérêt de la justice doit commander le rejet du recours; (3) La personne en contravention de la réglementation municipale doit avoir été diligente et de bonne foi, elle ne doit pas avoir connu la contravention préalablement; (4) L’effet du maintien de la contravention ne doit pas avoir une conséquence grave pour la zone municipale touchée; (5) Il doit y avoir existence d’un délai déraisonnable et inexcusable de la part de la municipalité; (6) Il doit y avoir eu un acte positif de la municipalité (émission de permis, perception de taxes); (7) La situation dérogatoire ne doit pas avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.

À ce sujet, plus récemment, dans l’affaire Municipalité de Les Cèdres c. Venettacci2 , la Cour d’appel a été appelée à nouveau à se pencher sur ces critères. Ce faisant, la Cour 1 Montréal (Ville) c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QC CA). 2 Municipalité de Les Cèdres c. Venettacci, 2020 QCCA 1495. d’appel a renversé la décision rendue par la Cour supérieure qui avait rejeté une demande d’ordonnance de la municipalité en cessation d’un usage dérogatoire.

En effet, dans son jugement, la Cour d’appel concluait cette fois-ci que comme l’usage exercé par Venettacci était totalement interdit au moment de la construction, la dérogation au règlement de zonage applicable ne pouvait constituer en l’espèce une contravention mineure ou de peu d’importance. Par voie de conséquence, conformément aux enseignements dégagés dans l’affaire Montréal (Ville) c. Chapdelaine, la Cour d’appel n’a eu d’autre choix que de conclure qu’il fallait faire droit à la demande d’ordonnance en cessation d’usage dérogatoire présentée par la municipalité.

CONCLUSION

L’affaire récente Municipalité de Les Cèdres c. Venettacci est un autre exemple éloquent de la rigidité et la sévérité des critères dégagés par l’affaire Montréal (Ville) c. Chapdelaine encadrant le pouvoir discrétionnaire de nos tribunaux dans le cadre d’une demande d’ordonnance en vertu de l’article 227 de la LAU. Ce pouvoir discrétionnaire en matière d’ordonnance de cessation d’usage dérogatoire ou de construction incompatible permet certes de pallier aux injustices pouvant résulter d’une application stricte, rigoureuse et aveugle de la règlementation municipale en vigueur. Cependant, il est primordial de rappeler que les circonstances permettant aux tribunaux d’user de cette discrétion sont très circonscrites.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *