«À nous de prendre la place», Bernard Landry
Petit-fils d’agriculteur, résidant en milieu rural et ami de plusieurs producteurs, ce professeur d’université qui, au moment de notre rencontre, venait de prononcer une conférence devant des diplomates sud-américains, n’en démord pas : le potentiel agroalimentaire du Québec est formidable, notamment en raison de nos ressources en eau alors que de grands pans de l’agriculture nord-américaine sont menacés par le réchauffement climatique et que la demande alimentaire ne cesse de croître. «À nous de prendre la place», lance-t-il.
Une évolution vers le pluralisme syndical
M. Landry voit également des raisons d’être optimiste dans l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs, notamment ceux qui sont sous la gestion de l’offre, dans l’évolution qu’il sent vers le pluralisme syndical et même dans des initiatives comme le regroupement de centaines de producteurs de bovins autour d’un projet d’abattoir coopératif, malgré toutes les difficultés que cela comporte.
M. Landry est particulièrement emballé par l’exemple d’Agropur qui réalise depuis quelques temps de grandes acquisitions à l’échelle du continent, sans renoncer à son statut de coopérative qui l’enracine au Québec. L’entreprise fait preuve d’agressivité sur les marchés et elle investit massivement pour améliorer son efficacité, se réjouit M. Landry pour qui c’est définitivement l’exemple à suivre.
Les plans conjoints, une force qui doit évoluer
Tout défenseur du libre-échange qu’il soit, M. Landry reconnait que les succès d’Agropur doivent énormément aux plans conjoints. Notre agriculture ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans la stabilité des revenus, la prévisibilité des volumes et la garantie de qualité que procurent les plans conjoints par rapport au marché beaucoup moins réglementé qui prévaut aux États Unis.
Ne serait-ce qu’en raison des indemnités colossales qu’impliquerait leur abandon, les plans conjoints sont là pour rester, estime M. Landry, mais ils doivent évoluer, le contexte n’étant plus le même qu’il y a une vingtaine d’années.
Ainsi, reconnait-il, les succès même d’Agropur et autres géants québécois du lait risquent d’accroître la pression des américains sur la gestion de l’offre canadienne, un «système soviétique» selon la droite au pouvoir, au moment où les prix du lait sont à la baisse au sud de la frontière. Selon lui, il ne faut pas baisser la garde car «les américains et les européens n’ont pas de leçons à nous donner en termes de protectionnisme et plus que jamais, la règle doit être : si vous nous traitez bien, nous vous traiterons bien».
Mais la réalité est que le Canada a conclu plus de vingt traités de libre-échange bilatéraux depuis l’échec des grandes négociations multilatérales du cycle de Doha au début des années 2000, échec causé justement par les questions agricoles Et la tendance ne s’inversera pas avec l’entrée en vigueur prochaine du traité de libre-échange Canada-Union européenne et l’accord de partenariat transpacifique qui pointe à l’horizon.
Un jour plus besoin de protection
Selon lui, la solution à long terme réside dans l’efficacité, les technologies avancées et les économies d’échelle. «On peut devenir tellement bon qu’un jour, on pourra se dire qu’on n’a plus besoin de telle ou telle protection et qu’on est capable de se battre contre n’importe qui», entrevoit M. Landry à la lumière de ce qui se passe actuellement dans le monde agricole. D’ici là, il faut négocier ferme, accepter des compromis lorsque nécessaire sans renoncer à l’essentiel et sans exclure, au besoin, des mesures interventionnistes pour supporter des secteurs fragilisés par les ententes, comme le gouvernement fédéral s’est engagé à le faire dans le cas des fromages fins.