Il est tard le soir au Bénin et au bout de la ligne, j’entends la pluie torrentielle tomber sur le capot du camion que conduit Jean Ouellet. Assise dans mon bureau de Montréal, je m’imagine très bien les immenses nids de poule africains qu’il traverse dans la nuit alors que seuls les deux phares de son véhicule illuminent la longue route pour rentrer chez lui. En parlant de poule justement, Jean Ouellet me lance : « En gros, une poule reste une poule, qu’elle soit ici ou ailleurs sur la planète, c’est le même animal ! » Le ton de la conversation est lancé, j’ai affaire à un agronome qui a plus de trente ans d’expérience au Québec, à un expert en nutrition animale chez Belisle Solutions Nutrition, à un propriétaire de ferme de grandes cultures à Saint-Antoine-de-Tilly et à un homme au parcours unique qui l’a mené jusqu’au Bénin.
Pendant son trajet, il a bien voulu me parler du travail qu’il accomplit sur le terrain en tant que conseiller technique chez Oxfam-Québec. Être agronome, c’est avant tout être lié à la terre, travailler avec le vivant, être dans l’action. Pour Jean Ouellet, l’agriculteur d’ici ou d’Afrique vit la même passion et a la même volonté d’apprendre pour améliorer sa production. Il en est à sa troisième expérience au Bénin, mais cette fois-ci, il participe à mettre sur pied un projet en aviculture qui représente un grand défi dans sa carrière.
La production avicole béninoise
Dans l’Afrique subsaharienne francophone, le secteur primaire dont fait partie l’aviculture, est un des moteurs essentiels de l’économie nationale, et le Bénin n’échappe pas à cette règle. Dans ce pays qui compte plus de 10 millions d’habitants et où deux types de production avicole coexistent, Jean Ouellet est convaincu qu’il est encore possible de relever le défi de la sécurité alimentaire et celui de l’autonomisation économique des jeunes, tout comme le fait Oxfam-Québec depuis plusieurs années. Pour y arriver, plutôt que de procéder uniquement par transfert de connaissances, il souhaite développer des méthodes innovantes qui sont basées sur l’intégration de la chaîne des valeurs relatives à l’aviculture dans sa globalité, et qui, en plus, utilisent efficacement les atouts naturels dont dispose l’environnement de la population.
Un pays au potentiel immense
Dès son arrivée au Bénin, Jean Ouellet est conscient que tout le continent reste à développer et qu’il y a un énorme potentiel, mais qu’il vaut mieux se concentrer sur un projet efficace qui pourra engendrer d’autres mouvements. En discutant avec différents aviculteurs, il perçoit leur soif d’apprendre, mais reste surpris du manque de ressources. Même si l’aviculture béninoise se développe et tente de se moderniser, il remarque que les moyens techniques et l’offre de formation dans le domaine ne sont pas suffisants. En conséquence, l’élevage de la volaille, bien que ce soit la deuxième source de viande, ne contribue qu’à hauteur de 3 % au chiffre d’affaires agricole du Bénin. La consommation béninoise de protéines est largement en dessous des niveaux recommandés, et quant à l’aviculture béninoise, elle ne couvre que 66,8 % du besoin national en œufs de table. De toute évidence, l’amélioration de la production avicole au Bénin ne peut que contribuer à répondre aux problèmes de sécurité alimentaire, dans la mesure où cela permet d’augmenter la disponibilité en aliments riches en micronutriments et en protéines facilement accessibles. C’est également un moyen efficace pour faciliter l’autonomisation économique des jeunes, car elle fait intervenir une chaîne de valeur aussi bien en amont qu’en aval. En amont, on y retrouve la production de maïs et de soja, la production piscicole, la revalorisation de coquilles d’huîtres vendues par les marchandes. En aval, il y a toute une chaîne d’acteurs provenant de la restauration et un ensemble d’acteurs qui participent aux circuits de distribution. Sans compter que l’activité avicole possède un grand potentiel environnemental grâce aux possibilités de revalorisation de ses déchets sous forme d’engrais vert. C’est particulièrement le cas pour l’utilisation des coquilles de moules en guise de source de calcium.
Rentabiliser sa production
Jean Ouellet a visité huit fermes moyennes de 2 000 à 5 000 pondeuses et une plus grosse de 200 000 pondeuses au cours des derniers mois. Ces fermes moyennes s’approvisionnent en aliments complets. Il y a peu de fabrication à la ferme. L’achat de moulée est plutôt simple puisqu’il n’y a qu’un principal fournisseur qui semble avoir la mainmise sur la plupart des intrants : moulée, prémélange de minéraux (prémix), les sources de protéine, etc. À la suite de ses discussions avec les producteurs, Jean Ouellet constate que la vente d’aliments complets n’est pas suivie d’accompagnement en services zootechniques tels que le programme d’éclairage, le programme d’alimentation, la chloration de l’eau, etc. Les producteurs lui ont fait part du très faible taux de ponte qui est de 75 %. Plus précisément, dans l’absolu, 25 % des poules mangent de la moulée, mais ne pondent pas ! Pire encore, les observations laissent croire que le calcul du taux de ponte est sans doute inférieur à ce qui est annoncé puisqu’il n’existe aucun document faisant état des stocks. Au Québec, le taux de ponte ne descend pas sous les 90 %, et ce, avec un prix de l’œuf assez similaire à celui pratiqué au Bénin. De plus, le coût d’alimentation au Québec est inférieur de 50 %.
Le regroupement de fermiers inspiré du modèle québécois
Les producteurs de ces fermes moyennes ont peu d’outils pour calculer leur profitabilité. Le mieux serait qu’ils disposent davantage d’outils de contrôle et de gestion, ce qui les aiderait à prendre des décisions éclairées dans l’ensemble de leurs méthodes de production, qui diffèrent grandement des nôtres. Même les mangeoires, les abreuvoirs, les nids, la durée de l’éclairage varient d’une ferme à l’autre. Les aviculteurs béninois ignorent que l’état des infrastructures de production a un impact très négatif sur leur production, par manque de conseils et d’accompagnement technique. N’ayant que peu ou presque pas de services offerts par les fournisseurs d’aliments, les fermiers sont laissés à eux-mêmes. À la suite de ces rencontres, Jean Ouellet travaille à mettre sur pied des groupes d’échange, des clubs avicoles et de producteurs qui, comme au Québec, pourront comparer leurs méthodes et leurs performances. Ces regroupements efficaces permettront non seulement d’améliorer les pratiques, mais de mieux se comparer et s’évaluer. Les aviculteurs font face aux mêmes défis et gagneront à mettre à profit, par exemple, l’utilisation de l’énergie solaire ainsi que le haut taux de chaleur pour mettre en place des couvoirs, et ainsi, devenir autonome. Au Bénin, la production de poussins serait inférieure à 700 000 têtes par année, ce qui est insuffisant. Pour pallier ce manque, le pays importe des poussins d’un jour provenant directement d’Europe.
Et si nous achetions des poules en cadeau ?
Dans quelques mois, je suis impatiente de découvrir où sera rendu ce projet mené par un homme pour qui la solidarité entre les fermiers dépasse les frontières ! D’ici là, je vous invite à offrir une poule en cadeau à votre entourage pendant la période des Fêtes. Sinon un cochon, une chèvre, un poussin ou encore même du fumier ! Une carte humoristique vous sera remise, et ce geste permettra ainsi d’aider des femmes et des hommes, voire des communautés entières, à atteindre un plus haut degré d’autonomie et un contrôle accru sur leur vie.
Visitez semballe.qc.ca